L'Annonciation
Grâce au don du général Léon de Beylié en
1901, le musée de Grenoble conserve l’un des
ensembles les plus prestigieux de Francisco de
Zurbarán. Les quatre scènes de l’Enfance du
Christ furent exécutées en 1638-1639 pour le
retable du maître-autel de la Chartreuse de Jerez
de la Frontera, dans la province de Cadix, à une
période où le style de Zurbarán, devenu peintre
officiel de Séville, a atteint sa pleine maturité.
Né en Estrémadure, le jeune Francisco est formé,
comme Velázquez, à Séville. Après le départ de
celui-ci pour la Cour à Madrid en 1623, Zurbarán
commence une prodigieuse carrière de peintre
religieux à Séville où monastères et couvents
sont devenus d’importants commanditaires
désireux de créer ou renouveler le décor de leurs
églises et de leurs cloîtres dans l’esprit réformiste
du Concile de Trente. Dès 1626, une première
commande pour le couvent dominicain de San
Pablo el Real assure au peintre un véritable succès
dans la capitale andalouse, Zurbarán excellant à
traduire le sacré en termes familiers, suggérant
déjà très simplement l’irruption du surnaturel
dans le quotidien.
Son style résolument moderne est manifeste dans
les quatre peintures conservées au musée de
Grenoble, qui montrent un peintre au sommet de
son art. Celles-ci faisaient partie d’un ensemble
de douze toiles commandé à Zurbarán pour le
maître-autel de la Chartreuse Nuestra Seňora
de la Defensión à Jerez. L’immense retable de
style baroque, orné de treize sculptures, de
colonnes et de stucs dorés, mesurait environ
quinze mètres de haut sur dix mètres de large.
Il comportait en son centre une grande Bataille
de Jerez (Metropolitan Museum, New York) et un
Saint Bruno en extase encadrés de part et d’autre
par les peintures aujourd’hui à Grenoble : à
gauche, L’Annonciation, surmontée de L’Adoration
des mages
_, à droite, L’Adoration des bergers
surmontée de _La Circoncision
_. Cette iconographie
de l’Enfance du Christ permettait aux chartreux
d’honorer Marie, la première patronne de
l’ordre, protectrice du site. Le retable réunissait
également le plus remarquable ensemble de
saints de l’ordre, conservés, avec le _Saint Bruno
et deux anges thuriféraires, au Musée de Cadix.
Après quelques remaniements de sa structure
au cours du XVIIIe siècle, le retable fut démantelé
en 1810 et définitivement détruit en 1844. Les
tableaux, dispersés, connurent de longs périples
qui les firent voyager de Séville à Paris en passant
par Cadix, Madrid, Londres ou Boston. Le général
de Beylié les acquit en 1901 pour en faire don au
musée de Grenoble.
La composition mise au point par Zurbarán
unifie les quatre scènes. Les personnages sont
regroupés au premier plan, occupant toute la
largeur des tableaux. À l’arrière-plan se distingue
tantôt un village médiéval (L’Annonciation),
tantôt une cité renaissante (L’Adoration des
mages
_), tantôt un paysage à peine esquissé.
Dans _L’Annonciation et L’Adoration des bergers
_,
un registre céleste peuplé d’anges fait écho au
monde terrestre. Dans les quatre panneaux,
un élément architectural, colonne ou pilier,
structure la composition tout en reliant
symboliquement le ciel et la terre. La disposition
des personnages est savamment organisée,
concentrant le regard sur l’élément-clé de
chacune des scènes. Le bouquet de fleurs de lys,
symbole de pureté, attribut essentiel de la Vierge
comme de l’Ange Gabriel, est placé au centre du
registre terrestre, à la pointe d’un losange formé
par Marie, l’ange et la colombe du Saint-Esprit
qui lui répond dans le domaine céleste. La tête
du nouveau-né de _L’Adoration des bergers
_ est au
centre du groupe des nombreux personnages du
tableau. _L’Adoration des mages
_ est construite sur
une grande diagonale portée par Melchior dont
l’attitude tendue vers l’Enfant concentre en elle-même
l’acte d’adoration. Dans _La Circoncision
_,
c’est le jeune page qui joue le rôle de guider
l’attention vers le Christ dont la position
écartelée et à la croisée de deux lignes obliques
annonce le sacrifice de la crucifixion. Dans
chacune des scènes, figures et objets semblent
appartenir autant à l’obscurité qui les enveloppe
qu’à la lumière qui leur confère toute leur
magnificence. L’œuvre de Zurbarán a atteint ici
un équilibre entre le ténébrisme de la première
période et la palette éclaircie des dernières
années. Ce sens du clair-obscur, plus qu’à l’art
du Caravage connu du peintre par des copies
peintes ou gravées, doit surtout au contexte
des peintres monastiques de la fin du XVIe siècle
comme Fray Juan Sanchez Cotán. Les objets,
rendus avec minutie, tels de véritables natures
mortes ou _bodegones, comme le linge blanc
dans la corbeille de la Vierge, peint si finement
que l’on peut voir les points de l’ourlet qui le
borde, acquièrent sous son pinceau un degré de
réalité intense, une présence familière doublée
d’une sérénité silencieuse quasi mystique. C’est
avec une attention égale que Zurbarán peint
les personnages : isolées sur un fond sombre,
les silhouettes sont finement ciselées, et au
naturalisme du traitement – berger au visage et
aux mains burinés, individualité marquée des
mages, douceur et rondeur des visages de Marie
et des anges – se superposent une densité quasi
sculpturale et une solennité méditative des
figures.
La capacité du peintre à représenter l’incursion
du monde céleste dans la réalité simple et
quotidienne, tout comme la clarté de sa
narration, expliquent le succès du peintre auprès
des moines sévillans, soucieux de fournir aux
fidèles des images immédiatement lisibles, plus
accessibles que la peinture maniériste et savante
de la période précédente et plus retenue que la
peinture baroque de son temps.
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