(Sans titre)

Alvise BENFATTO dit Alvise DAL FRISO (attribué à)
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

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L’ancienne attribution à Palma le Jeune ne peut être prise en considération. L’œuvre de ce dessinateur est fort bien connu grâce à une production abondante qui a réussi à traverser les âges ; tous ses dessins présentent des stylèmes fort différents de ceux qui caractérisent celui-ci, investi sur ses deux faces de signes véronésiens, tant et si bien que l’on s’est demandé un certain temps s’il ne pouvait pas revenir au peintre véronais. Palma, en effet, n’est pas un héritier stylistique de Véronèse.
Avant de se demander en quoi ce dessin ne peut revenir à Véronèse lui-même, il faudrait commencer par en définir les composantes véronésiennes. Deux éléments, qui lui sont idiosyncrasiques, sont à considérer : le premier est d’ordre processuel et le deuxième, à proprement parler, stylistique. Lizzie Boubli, dans son ouvrage magistral sur la variante, a bien perçu l’originalité de la méthode d’étude de Véronèse, fondée sur la répétition « évolutive » et « graduelle » des figures ou des groupes de figures. C’est ce qu’elle appelle la « variante progressive ». Sur la feuille grenobloise, une figure de référence est variée sur toute la surface du papier d’œuvre tant sur le recto que sur le verso. Il s’agit d’une figure vue da sotto in su, très certainement porteuse d’un contenu allégorique, du moins pour celle étudiée au verso (peut-être une Renommée soufflant dans une trompette au verso, tandis que celle dessinée au recto semble porter un plateau ou un bouclier), destinée à orner une composition plafonnante. Il est difficile de dire quelle est la figure matricielle à partir de laquelle les autres ont été dessinées. On peut néanmoins supposer que son concepteur-praticien a utilisé la surface du papier en commençant par le centre. Cette façon de faire permet de faire graviter, en cercles concentriques décalés, les variantes autour de la matrice centrale.
L’ordre stylistique véronésien se caractérise par des signes de notation rapidement tracés. Ce sont des formes réduites à des signes de reconnaissance : des sortes de bâton pour les jambes et les bras, des ovales ou des cercles pour la tête. Il s’agit bien entendu, avant tout, d’établir une ligne directrice dans la disposition de la figure. Ce schématisme des formes, propre à toute première pensée, n’empêche pourtant pas de les affilier à une manière. Il est vrai que pour y parvenir, il est nécessaire de considérer à la fois et le style et le procédé.
Qu’est-ce qui fait que l’on ne peut attribuer à Véronèse lui-même ce dessin? Pour répondre à cette question, il est en fait nécessaire de revenir sur les deux éléments idiosyncrasiques que nous venons de décrire : la façon de procéder et la façon de tracer. Véronèse, sur la quasi-totalité des feuilles d’études dessinées à la plume et à l’encre brune, varie de manière progressive en commençant à partir du haut de la feuille. Il y a de ce fait une sorte d’étagement des variantes de disposition. Or, comme nous venons de le voir, sur le dessin de Grenoble, l’utilisation de l’espace est centrifuge. En matière stylistique, les figures de Véronèse présentent plutôt des terminaisons anatomiques synthétiques et abrégées. Celles que l’on peut voir sur ce dessin sont en revanche extrêmement effilées et allongées (ce qui nous a amené un temps à croire qu’Alessandro Maganza pouvait en être l’auteur).
Toutes ces différences nous font dire que seul un dessinateur proche de Véronèse a pu réaliser ce dessin. La plupart de ses collaborateurs directs sont des membres de sa famille, son frère puîné, Benedetto, ses fils, Paolo, Gabriele et Carletto. Seul Francesco Montemezzano n’appartient pas à la cellule familiale. Mais force est de reconnaître que l’on ne connaît peu ou pas de premières pensées à la plume dues à l’une ou à l’autre de ces figures, à l’exception toutefois de Benedetto Caliari[1]. C’est peut-être à un autre membre de son atelier que nous n’avons pas encore nommé que pourrait revenir cette feuille : Alvise Benfatto dit Dal Friso, son neveu, qui entra dans sa bottega autour de 1574. On connaît de lui plusieurs études à la plume qui présentent des signes fort proches[2]. Mais l’œuvre de ce véronésien n’étant pas circonscrit avec certitude, il nous semble préférable de rester prudent en faisant précéder son nom de la mention traditionnelle : « attribué à », tout en notant qu’une attribution à un autre Vénitien, Leonardo Corona (1552- 1596), dont la manière picturale est plutôt dominée par des références tintorettesques, a été avancée. Son œuvre graphique reste encore à étudier.


[1] Voir par exemple un dessin conservé au Louvre préparatoire à une peinture représentant la_ Naissance de la Vierge_, RF 39033.
[2] Voir notamment un dessin passé en vente chez Christie’s Paris, le 18 mars 2004, no 5, étudiant un Jugement de Salomon. L’allongement des figures est comparable. Voir aussi un dessin proposé à la vente par la galerie Mia N.Weiner sur le site : http://www.oldmasterdrawings.com/html/00420.2.shtml?tour=italian. Il s’agit d’une feuille d’études comportant de nombreuses notations. Les attributions, néanmoins, ne sont pas certaines.

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