Volume a moduli sfasati
[Catalogue de l’exposition Italia moderna. La collection d’art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]
Moins connue que ses pairs, Lucio Fontana, Alberto Burri ou Piero Manzoni, Eduarda Emilia Maino, dite Dadamaino, est une artiste née en 1930 à Milan et active à la fin des années 1950 en Italie. Après des études en pharmacie, elle découvre tardivement sa vocation pour la création. Il n’en demeure pas moins qu’elle concourt pleinement à toute l’aventure de l’art italien abstrait de l’après-guerre, succédant ainsi à Piero Dorazio et aux artistes de Forma 1, aux artistes d’Origine, et à ceux du Movimento Arte Concreto (M.A.C.). Marquée par la figure tutélaire de Lucio Fontana, qu’elle rencontre en 1952, Dadamaino se détourne dès 1956-57 de la peinture figurative pour interroger l’espace. Plusieurs rencontres sont par ailleurs déterminantes pour l’évolution de son travail, celles de Piero Manzoni et d’Enrico Castellani en 1957, fondateurs de la galerie Azimuth. Avec Manzoni, Dadamaino prend part à toutes les manifestations importantes de l’art italien dans les années 1960. L’artiste cotoie par ailleurs l’avant-garde milanaise de l’après-guerre, les artistes qui fréquentent le Bar Jamaica notamment Gianni Colombo et Augustin Bonalumi. Plus largement, ses recherches se nourrissent de ses rencontres avec les artistes européens des groupes N et T en Italie, du groupe Zéro en Allemagne, d’Equipo 57 en Espagne et, enfin, du Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV) en France.
Radicales et arides, les Volumi sont les premières oeuvres remarquables de Dadamaino. Produites entre 1958 et 1960, à l’heure où Fontana publie, en 1958, son dernier manifeste spatialiste, ses pièces, ainsi paradoxalement désignées – car le vide y prime sur le plein, sont des toiles monochromes, blanches ou noires, percées de trous circulaires plus ou moins larges. La perforation est réalisée aux ciseaux, parfois approximativement, laissant souvent voir le dessin préalable au découpage. Ces travaux expriment le désir de l’artiste de parvenir à un degré zéro de la peinture. S’y devine un attrait pour la quête du vide et pour la question du non-être. En réaction certainement au primat de l’art informel et de l’abstraction lyrique, l’artiste entend alors mettre au rebut « toiles, pinceau, coups de spatule et couleurs ». Dans ces oeuvres, le mur, visible en transparence, importe davantage que la surface. Lors de sa première exposition à la galerie Azimut en 1959, Il Corriere Lombardo titre plein d’ironie : « Même les femmes trouent les tableaux. » Dadamaino inscrit en effet sa pratique dans le sillage des perforations et lacérations de Fontana, son art doit aussi beaucoup aux achromes de Piero Manzoni. Très inspirée par le travail de ses aînés, elle explique : « J’ai toujours abhorré la matière et recherché l’immatérialité. Si Fontana n’avait pas perforé la toile, je n’aurais probablement jamais osé le faire. » Féministe et engagée, l’artiste appartient ainsi à une famille de créateurs ayant privilégié le vide en sculpture (Alexander Archipenko, Pablo Gargallo, Berto Lardera) et interrogé le support en peinture (Lucio Fontana, Alberto Burri et Salvatore Scarpitta).
En 1959, Dadamaino fonde avec Piero Manzoni, Eduardo Castellani et Agostino Bonalumi, le groupe Azimuth à Milan. Les liens du groupe avec le Groupe Nul aux Pays-Bas, le groupe Zéro en Allemagne et le groupe Motus en France, ancêtre du GRAV, conduisent l’artiste à exposer dans l’Europe entière. En 1960, Dadamaino abandonne ses tableaux, avec un ou plusieurs trous béants, ainsi que ceux constitués de trous réguliers et ordonnés, pour se consacrer à des oeuvres qu’elle intitule Volumi a moduli sfasati [Volumes à modules décalés]. Comme en témoigne celui du musée de Grenoble, ces monochromes sont constitués de feuilles d’acétate transparentes superposées et tendues sur châssis. L’artiste accole deux châssis avec des toiles de couleurs identiques ou différentes, joue des décalages de perforation, des jeux de couleurs et d’espace créant une vibration optique, une sorte de ponctuation lumineuse. En 1961, Dadamaino se lie avec le critique d’art croate Matko Meštrovic´, l’un des fondateurs du mouvement d’artistes Nouvelle Tendance. Au début des années 1960, elle expose seule à Stuttgart avec le Groupe Nul, puis à Amsterdam en compagnie de Eduardo Castellani, Lucio Fontana, Piero Manzoni, etc. 1963 est l’année où naissent ses premières oeuvres cinétiques, les Oggetti ottico-dinamici [Objets optico-dynamiques]. Moins passionnée par le mouvement que par une réflexion en profondeur sur la vision, Dadamaino donne alors une dimension de plus en plus immatérielle à son travail, dont témoigne une série comme les Alphabets de l’esprit.
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