Bibiana (Ne m'oubliez pas)

Ernest Antoine Auguste HÉBERT
1891
97 x 67 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Mme Hébert en 1908
Localisation :
SA20 - Salle 20

Voir sur navigart

Les trente dernières années du XIXe siècle sont essentiellement italiennes pour le peintre Ernest Hébert qui ne rentrera définitivement à Paris qu’en 1896, à plus de soixante-dix-neuf ans. Dans cette période riche en mouvements littéraires et artistiques, l’oeuvre d’Hébert se ressent de l’influence du symbolisme qui se développe alors en France et du préraphaélisme tardif qui trouve encore une audience forte à Rome.
Bibiana a été peint entre 1889 et 1891 tandis qu’Hébert dirige l’Académie de France à Rome pour la seconde fois (1885-1890). « J’ai commencé, pendant les six ans que je viens de passer ici, quelques tableaux dans mon petit jardin, qu’il faut enfin terminer et que je ne peux terminer que d’après les modèles de ce pays[1] », écrit-il à Jean-Jacques Henner le 19 février 1891, au moment de quitter son poste. L’Italienne au nez busqué et au regard de braise est, pour cette période, avec Amelia, l’un des modèles préférés de l’artiste. Il y en eut cependant beaucoup d’autres : Caterina, Giovannina, Adélaïde, Elvira qui étaient modèles pour le peintre avant de repartir faire les moissons dans leur village. Gabrielle Hébert, qui accompagnait son mari à Rome, nous a laissé de nombreuses photographies de ces paysannes lors des séances de pose. Selon le tableau en cours, elles endossaient soit le costume traditionnel, soit les voiles de la Vierge, leur plus jeune enfant tenant souvent le rôle de Jésus.
Ici, Bibiana est de profil, adossée au mur du bassin de la terrasse de l’atelier romain d’Hébert, dans une composition proche de celle de Rosa Nera peinte quelques années plus tôt. La mise en scène, resserrée sur le sujet, ainsi que le clair-obscur mettent l’accent sur le haut du buste et le visage. Ils confèrent au portrait une intensité qui fait oublier l’effet anecdotique de sa tenue des Abruzzes (blouse blanche aux amples manches, corselet et jupe de travail bleu indigo). Le drapé d’un châle au motif perse, largement noué à la taille, accentue son allure presque orientale. Le tableau est caractéristique de la période des années 1890 où Hébert, situant ses personnages en plein air, sur un fond de verdure, joue sur les rapports colorés de la végétation et des tissus. Le profil, tourné vers la gauche, et les yeux baissés laissent paraître une certaine mélancolie sous le fier détachement. À peine aperçoit-on dans sa main la discrète fleur de myosotis qui donne son sous-titre au tableau. L’artiste puise les sources picturales de son inspiration dans les différents courants de cette période, qui lui permettent de renouveler son goût pour les figures féminines. Il réalisera ainsi à la Villa Médicis une série de portraits allégoriques privilégiant l’expression des états d’âme. Le modèle y est peint, selon le sujet, en costume traditionnel ou dans un drapé plus suggestif, voire parfois nu (La Solitaire, 1889, La Lavandara, 1890, ou encore Fleur d’oubli, 1892). En 1891, obligé de laisser le logement de directeur à son successeur Eugène Guillaume, le peintre s’est installé non loin de la Trinité des Monts, dans un appartement de la Via Sestina. Homme d’habitude, il conserve néanmoins son atelier de la Villa qu’il occupe depuis le premier directorat et dont la porte est surmontée d’un H. Celui-ci est construit sur la vieille muraille de Rome et, bien que petit, il bénéficie d’un jardinet étroit où Hébert aime installer ses modèles. Il y travaille encore régulièrement, au grand dam du nouveau directeur qui souhaite le voir partir définitivement. Dès lors, bravant parfois le vent et la pluie, le peintre se contentera de la terrasse du campanile ou du petit bois, tout au fond du jardin de la Villa, pour poser son chevalet : « Le coin du Bosco où je travaille me plaît beaucoup, j’y installerais volontiers ma tente, si le voisinage du glaçon directeur ne m’avait dégoûté de l’Académie^2 », précise-t-il encore à Jean-Jacques Henner le 25 septembre 1891 (?). Quoique très lié avec Gustave Moreau, Ernest Hébert ne peut pas être considéré comme un des artistes appartenant au courant symboliste français. Il n’a pas échappé cependant à la tentation religieuse et symboliste qui a imprégné une partie de sa production à la fin du siècle. Le goût qui s’affirme pour les figures allégoriques, notamment féminines, ne pouvait que séduire le peintre. Ses muses – musiciennes, figures religieuses et autres femmes éthérées – sont marquées, plus ou moins consciemment, par un penchant pour l’idéalisation qui semble gagner alors tout le milieu intellectuel.


[1] Péladan, Ernest Hébert, son oeuvre, son temps, d’après sa correspondance et des documents inédits, préface de Jules Claretie de l’Académie française, Paris, 1910, p. 227.

Un autre regard

  • Le langage des fleurs

    Quand vous offrez un bouquet, prenez-vous garde à la signification des fleurs qui le composent ? Ou bien les choisissez-vous purement pour leur beauté, leurs coloris ?

Découvrez également...