Moïse et le buisson ardent

Parmi les nombreuses représentations de l’Ancien
Testament que l’on doit à Rembrandt,
peu illustrent les livres du Pentateuque, à l’exception
toutefois du premier des « cinq livres
de Moïse », la Genèse. Les nombreuses scènes
de foule, décrites dans les livres II à V consacrés
au destin collectif du peuple d’Israël, intéressent
peu Rembrandt qui préfère s’attacher
au destin individuel de l’homme et à son expérience
personnelle face à Dieu. Seuls quelques
épisodes, consacrés à la vie de Moïse – comme
celui du buisson ardent –, ont retenu l’attention
de l’artiste.
Le dessin de Grenoble, une copie d’un de ses
élèves d’après une composition du maître,
Moïse et le buisson ardent, fait partie de ces
quelques oeuvres où Rembrandt illustre la vie
du patriarche[1]. La plus célèbre et la plus réussie
est le fameux Moïse brisant les tables de la Loi
(Berlin, Gemäldegalerie). Dans cette peinture,
Rembrandt place le patriarche au centre de la
composition. Celui-ci vient de quitter le désert
et arrive sur la montagne de Horeb avec son
troupeau. L’artiste représente Moïse surpris
et bouleversé par un faisceau lumineux divin
indiquant le buisson ardent[2]. Rembrandt n’a
pas dessiné l’ange qui, selon le livre de l’Exode,
apparaît dans cette lumière car son intérêt
se porte comme toujours sur la réaction de
l’homme face au divin. Le visage, les gestes et la
raideur corporelle suggèrent merveilleusement
bien l’étonnement qui saisit Moïse. La nature
environnante n’est que rapidement esquissée,
à l’aide de quelques traits de plume. Le dessin
de Rembrandt considéré comme original a été vendu à Londres chez Christie’s le 23 mars 1982
(n° 69). Connu depuis les recueils de
Lippmann, ce dessin, qui porte un faux monogramme
et une fausse date (1635), a été autrefois
accepté par les spécialistes et daté vers 1655.
Cependant, il faudrait se demander s’il ne s’agit
pas d’une copie d’après un original perdu de
Rembrandt, comme le dessin de Grenoble[3].
Benesch compare la feuille avec deux dessins
en particulier, qui ont été éliminés du corpus de
Rembrandt. Un dessin au Kupferstichkabinett
de Berlin, illustrant Élie, a été donné à Willem
Drost par Holm Bevers en 2006[4] et Un berger
et son troupeau (Jacob et le troupeau de Laban),
attribué à Gerbrandt van den Eeckhout, avec
point d’interrogation, par Giltaij[5].
Dans sa recension d’une exposition de dessins
au Burlington Fine Arts Club, Roger Fry
attire l’attention, dans un très beau texte, sur
ce Moïse et le buisson ardent et son extraordinarily
suggestive use of line[6]. Pour suggérer le
faisceau lumineux, Rembrandt se sert même
ici d’un couteau et incise la feuille.
La pratique de la copie dessinée est une des
premières étapes que doivent effectuer les
élèves inscrits dans l’atelier de Rembrandt,
et qui, selon les rares documents conservés,
doivent payer fort cher pour être instruits
par ce grand pédagogue. Dans un texte fondamental,
traitant sous toutes ses facettes
la question de Rembrandt professeur, Werner
Sumowski décrit son atelier comme un
lieu situé entre l’ancestrale formation des
artistes par les guildes et les académies, nées
dans l’Italie de la Renaissance et imitées dès la fin du XVIe siècle dans les Pays-Bas, notamment
à Haarlem[7]. Imiter le maître comme
dans le passé mais aussi travailler d’après le
modèle nu, comme dans les académies, sont
les préceptes d’apprentissage en usage chez
Rembrandt. Cette double pratique crée une
atmosphère de travail unique.
La belle copie de Grenoble montre toute la
difficulté de cet exercice premier qui consiste
à imiter les dessins du maître. La spontanéité
de la plume de Rembrandt, son art de suggérer
plutôt que de décrire n’obligent pas seulement
l’élève à oublier sa manière propre mais plus
encore à se soumettre à une chose (presque)
impossible. Sumowski nous fournit un autre
exemple de comparaison avec Le Lévite à
Gibéa de Francfort (Städelsches Kunstinstitut)
et sa copie plus faible dans une collection particulière
à New York[8]. Il existe une autre copie très proche du dessin
de Grenoble, vendue chez Sotheby’s à
Londres, le 27 janvier 1966 sous le nom de
Ferdinand Bol (n° 91), ce qui souligne encore
l’importance de la composition de Rembrandt.
Dans la vente du marquis de Calvière,
entre le 5 et 20 mai 1779 (n° 313), un dessin
de Rembrandt illustrant Moïse et le buisson
ardent a été catalogué. Les indications sont
trop sommaires pour préciser si cette feuille
correspond à l’une des trois oeuvres connues
aujourd’hui.
[1] Voir Tümpel, 1969, p. 153-157.
[2] Exode, 3, 1-3.
[3] Voir Benesch, 1973, V, n° 951, repr. fig. 1160.
[4] Voir Benesch, 1973, V, n° 944.
[5] Voir Benesch, 1973, V, n° 1157, et Giltaij, 1988, n° 67.
[6] Voir Fry, 1918, p. 62.
[7] Voir Sumowski, 1983, I, p. 9-24.
[8] Voir Sumowski, 1983, I, repr. p. 28-29.
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