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Cette très belle étude de draperie était considérée comme une œuvre de David lors de son entrée au musée en 1902, avec la collection Mesnard. C’est la préparation du catalogue raisonné des dessins de David qui a permis à Pierre Rosenberg et Louis Antoine Prat de rendre le dessin à son véritable auteur, Pierre Peyron. La confusion stylistique entre Peyron est David n’est pas surprenante à la fin du XIXe siècle. Plus vieux que David, Peyron occupe un rôle de premier plan dans l’évolution et la mise en place de la peinture néoclassique, que David portera à son apogée plus tard. Fervent admirateur de Poussin, Peyron est l’un des peintres les plus originaux de sa génération. En 1773, il obtient le Grand prix avec une Mort de Sénèque (disparue), dont la rigueur et la simplicité impressionnent le jeune David. En 1783, après son séjour romain, Peyron fait son entrée au sein de l’Académie et pour cela il présente, dans un premier temps, un morceau d’agrément représentant Marius prisonnier à Minturnes. Aujourd’hui perdue, cette peinture est connue par un dessin préparatoire pour l’ensemble de la composition, conservé à la Bibliothèque nationale de Madrid[1] . On reconnaît dans ce dessin la disposition de la draperie de Grenoble. Le verso de l’œuvre, demeuré inédit, présente une seconde étude pour la même composition. Il s’agit de la figure du soldat Cimbre étudié ici nu et, dans la composition finale, couvert d’un drapé.
Le tableau est exposé au Salon de 1783 quelques jours avant sa clôture. L’œuvre a été exécutée à Paris, comme l’exigeait la réglementation de l’Académie. La précipitation dans laquelle l’artiste réalise cette peinture, d’une taille inhabituelle pour lui, explique la sobriété de la composition et la présence d’un nombre restreint de figures.
Ces quelques lignes, publiées en 1785, soulignent les éléments de l’œuvre les plus remarqués par les contemporains « Le tableau de Marius, exposé au dernier Salon, a fait beaucoup d’honneur au talent de M. Peyron, émule et concurrent de M. David. On distingoit surtout une belle ordonnance, et le plus heureux choix dans les plis de ses draperies ; mais son personnage principal n’avoit pas toute l’énergie de son fameux rival de Sylla, et son soldat Cymbre n’étoit pas d’un caractère assez prononcé »[2] . Malgré les critiques, portant sur le traitement du sujet, notons que la disposition de la draperie, que prépare le dessin de Grenoble, est particulièrement remarquée. La construction délicate des plis, leur légère animation par les effets d’ombre et de lumière, font des drapés de Peyron les dignes héritiers des modèles observés par celui-ci dans les statues antiques et les tableaux de Poussin. Ces qualités se remarquent dans La Mort de Socrate, réapparue en 2000 et acquise par le Joslyn Art Museum d’Omaha[3] , où la disposition de la draperie du philosophe est très proche de celle de Grenoble.
Le sujet, tiré de Plutarque (Vie de Marius, 39, 1-4) et de Valère-Maxime (II, 10, 6) illustre un épisode survenu après la victoire de Sylla, en 89 avant J.-C., alors que Marius, en conflit avec le Sénat de Rome, s’était réfugié dans les marais de Minturnes en Campanie. Ayant auparavant vaincu les Cimbres, Marius est capturé par ces derniers, qui le condamnent à mort. L’un de leurs soldats est envoyé pour mettre en application la sentence. D’un geste plein d’autorité, Marius le regarde et dit : « Oseras-tu frapper Marius Caïus ? ». Le soldat alors prend la fuite, en criant « Je ne pourrais jamais tuer Marius ». Deux ans plus tard, en 1785-86, l’élève favori de David, Jean-Germain Drouais, probablement stimulé par la rivalité entre David et Peyron, met en image la même scène, dans une œuvre monumentale aujourd’hui conservée au Louvre.
Signalons pour finir une troisième étude inédite, repéré parmi les anonymes français du XIXe siècle, montrant un Homme drapé à l’antique de profil en position de marche[4] . Le dessin se rattache par son style et sa technique assez facilement à l’œuvre de Peyron et se retrouve, avec d’autres figures, dans une feuille d’étude, conservée dans une collection privée lyonnaise[5] . Ce personnage drapé est probablement préparatoire à celui qui est placé à l’extrême gauche dans un dessin d’ensemble, conservé également dans une collection particulière et représentant Oedipe à Colone[6] .
[1] Jean-François-Pierre Peyron, Maius prisonnier à Minturnes, Madrid, Biblioteca Nacional, Inv. Dib. 9161.
[2] Discours sur l’origine, les progrès, l’état actuel de la peinture en France […] pour l’introduction au Salon, 1785.
[3] H/T, H. 99,6 ; L. 135,9, 1788, Inv. N° 1999.55. Seconde version d’un sujet que Peyron avait déjà traité en 1787 (Paris, Assemblée Nationale). L’œuvre peut-être identifiée, grâce à ses dimensions, avec celle de la loterie de la Société des amis des Arts, le 15 octobre 1790, n° 57 (voir Rosenberg et van de Sandt, 1983, n° 118, p. 129).
[4] MG D 1927, Plume et encre brune, lavis gris et rehauts de gouache blanche, H. 22.3 ; L. 13.
[5] Rosenberg et van de Sandt, 1983, n° 92, p. 109-110, fig. 62.
[6] Sur cette composition, voir Rosenberg et van de Sandt, 1983, n° 87-91, p. 107-109.
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