3 MAI 2000
Institut d'art Contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes
Dépôt au Musée de Grenoble le 28/02/2005
Exposition En Roue libre, 1er avril-3 juillet 2022
Salle 9
Compter/conter le temps
Comment signifier notre existence dans le flux ininterrompu de la temporalité ? Comment dire de manière satisfaisante l’être du temps ? Au tournant du XXIe siècle, l’inexorable écoulement du temps continue d’inspirer les artistes. Le temps, cet insaisissable, «ce temps commun qui fuit horizontalement avec l’eau du fleuve, avec le vent qui passe» (Gaston Bachelard) est encore inéluctablement une matière essentielle, une matière fugace, notre condition indéfectible de vivant, notre vie même et son compte à rebours. Pour Henri Bergson, la durée est bel et bien subjective, relève de la vie intérieure. Nous habitons le temps, nous nous mouvons dans le temps. Être signifie devenir, continuer, accepter cette vie temporelle.
Si le temps avait une teneur cosmique ou cosmologique pour un Newton ou un Einstein, il est aujourd’hui vécu avant toute chose comme une succession d’instants et de rythmes. Il apparaît, comme l’évoquait Gaston Bachelard, que «l’instant est le caractère vraiment spécifique du temps.» Les artistes s’attellent donc à dire, à faire éprouver le temps de manière physique. De façon souvent obsessionnelle, ils incorporent à leurs créations la sensation de temps. Le défi en quelque sorte est de s’approprier ce dernier en toute objectivité et de le faire basculer dans son univers personnel, dans sa subjectivité.
Dans ce contexte, la mise en forme du temps emprunte des voies multiples. Pour les uns, il s’agit de mettre en forme la durée, d’exposer le temps de manière brute, de dire des temporalités disparates. Pour les autres, il s’agit de réitérer un geste, de créer ses propres archives, de mettre en scène des souvenirs. Célébrer le temps prend souvent la forme d’un cérémoniel où s’expérimentent l’un et le multiple. Comme saisis par une obsession, les artistes créent alors des dispositifs «chroniques» où s’opère le vertige du nombre et de la répétition.
Avec ses Date Paintings, On Kawara «peintre du temps» donne une illustration pour le moins littérale de la temporalité. Considérant que l’événement ne fait plus date, l’artiste tente de conjurer la discontinuité du temps par des formes ritualisées, arithmétisées. Dans ce qui s’apparente à une esthétique de calendrier conceptuel, esthétique et élémentaire, On Kawara peint des précipités de temps, des arrêts sur image. Dans ce dimensionnement esthétique et minimal du temps, dans cet art de l’énumération, il déjoue l’irréversibilité du temps.
Faire œuvre du temps va souvent de pair avec une obsession : incorporer la sensation de temps. En 1965, alors qu’il attend sa femme dans un café de Varsovie, **Roman Opalka ** conçoit l’idée de manifester l’écoulement du temps. Avec ce qu’il nomme son «projet de vie», il peint des nombres en ordre croissant sur des toiles nommées Détail. Dans les autoportraits qui les accompagnent, l’artiste révèle aussi le passage du temps, soit le vieillissement sur son visage. Celui dont l’art s’apparentait à un pari faustien affirme : «Ma démarche ne manifeste rien d’autre que la durée d’une vie.» Pour ces artistes, faire du temps un objet d’art ne va pas sans une conscience de la solitude, du temps disparu, c’est aussi apprendre le caractère inéluctable de notre mort.
[Extrait du Journal de l’exposition En roue libre. Balade à travers la collection d'art contemporain du musée, musée de Grenoble, 1er avril-3 juillet 2022]
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