Souvenir de La Grave en Oisans

Souvenir de La Grave fait suite au voyage
accompli par Blanc-Fontaine en 1853 en
Oisans, en compagnie de son fidèle ami Diodore
Rahoult et du peintre péruvien Francisco Laso
(1823-1869). Au cours de ce périple, les trois
hommes se confrontent à la grande nature
alpestre et observent sur place les moeurs des
habitants. Ému par la vue d’une scène d’enterrement,
Blanc-Fontaine décide, deux ans
plus tard, d’en faire le sujet de l’une de ses
compositions. Dans un dessin préparatoire[1],
il campe les personnages principaux qui sont
trois vieilles femmes coiffées d’un fichu. L’une
est croquée en pied, l’autre à mi-corps tandis
que n’apparaît que le visage de la troisième.
Puis, la présence de trois jeunes enfants sur
une esquisse de petites dimensions[2] vient
compléter ce premier groupe. Malgré une
touche rapide, on distingue également sur
cette ébauche les silhouettes de plusieurs
personnages en arrière-plan. Dans son
tableau final, Blanc-Fontaine modifie légèrement
la disposition de ce dernier groupe, mais
conserve les deux autres en précisant leurs
gestes. Ainsi, on retrouve au premier plan les
trois vieilles femmes, assises sur un rocher,
appuyées sur une canne ou les mains jointes,
se recueillant à la vue du passage d’un convoi
funèbre. Le jeune garçon qui les accompagne,
accoudé sur l’une d’elles, observe la scène avec
détachement. À leurs pieds, deux petites filles
s’amusent à reproduire avec insouciance ce
triste évènement. Sur un petit monticule de
terre, sculpté par leurs soins, elles déposent
un crucifix improvisé en mémoire du défunt.
Au loin, le curé, entouré d’un cortège de villageois,
procède à l’inhumation sous un ciel
chargé de nuages, mais laissant entrevoir les
somptueuses montagnes de l’Oisans.
Souvenir de La Grave occupe une place importante
dans l’histoire de l’art régional en
raison non seulement de sa dimension ethnographique
et spirituelle, de sa portée universelle,
mais aussi par rapport au sentiment
d’authenticité qui s’en dégage. « Une aspiration
élevée, une préoccupation généreuse
du sentiment[3] » sont les expressions utilisées
par le critique Maxime Du Camp, fondateur
de la Revue de Paris, pour souligner la force de
cette scène de genre. Dans sa toile, l’artiste
prend soin de retranscrire avec pudeur les
émotions. Il signifie son goût pour les paysages
locaux qu’il arpente régulièrement.
Quant au caractère spirituel de l’oeuvre, il
faut rappeler qu’un an plus tôt Henri Blanc-
Fontaine travaillait aux peintures de la
chapelle de la Vierge pour l’église Saint-André
de Grenoble, la sensibilité religieuse étant
certainement l’aspect le plus frappant dans
sa production. Empreinte de simplicité et
de recueillement, cette scène montagnarde
connaît un large succès populaire. Certes,
« le dessin de ce tableau, très bien composé,
s’égare une ou deux fois dans des exagérations
inutiles » et « sa couleur générale est encore un peu grise », mais Souvenir de La Grave
émeut le jury de l’Exposition universelle qui
lui octroie en 1855 la mention honorable et
une médaille de première classe[4]. L’oeuvre
est acquise l’année suivante par la Ville de
Grenoble tandis que l’artiste en fait une copie
de plus petites dimensions dix ans plus tard[5].
[1] Souvenir de La Grave, dessin préparatoire, vers 1855, crayon et aquarelle sur papier, coll. part.
[2] Souvenir de La Grave, esquisse, vers 1855, huile sur toile, H. 15 ; l. 23 cm Chambéry, Musée savoisien.
[3] Maxime Du Camp, « Beaux-arts », Revue de Paris, 1er août 1855, t. XXVII, Paris, Librairie nouvelle, 1855, p. 404-434.
[4] Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie et architecture des artistes vivants étrangers et français, exposés au Palais des Beaux-arts, le 15 mai 1855, Paris, Vinchon, imprimeur des Musées Impériaux, 1855, n°2579, p. 262.
[5] *Procession à La Grave [Vieilles femmes et enfants à La Grave], 1865, huile sur toile, H. 81 ; l. 101 cm, Grenoble, Musée dauphinois, inv. 64.5.1
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