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Giovanni Francesco GRIMALDI dit IL BOLOGNESE
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX

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Le dessin n’est pas seulement investi d’une fonction préparatoire à un objet extérieur à lui-même. Il est un mode de recherche. Mais il est aussi instance de mise en représentation du monde. Le genre du paysage en est l’expression la plus parfaite. Nombre de dessinateurs, dès la fin du Quattrocento, se sont plu à croquer sur le vif, in situ, ou a contrario en atelier, des morceaux de nature réels ou recomposés. Fra Bartolommeo et ses arbres, Titien et Domenico Campagnola, leurs paysages composés, purement imaginaires, ceux d’Annibale Carrache et de Dominiquin qui semblent un mixte d’éléments vus, les paysages de Federico Zuccari tracés sur le vif ou de mémoire, témoins de ses voyages. Mais si ces paysages, à l’exception toutefois de ceux de Domenico Campagnola, étaient pour ces peintres-dessinateurs une sorte de passe-temps en marge de leur activité principale d’ordonnateur d’historie, il n’en est pas de même au début du XVIIe siècle : des dessinateurs, tel le Bolonais Giovanni Francesco Grimaldi, établi à Rome autour de 1626, se spécialisent dans ce genre artistique et en font leur activité principale (il faut toutefois noter que Grimaldi fut aussi un concepteur et un peintre de décors). Claude Gellée dit le Lorrain et nombre de dessinateurs nordiques de passage en Italie ou s’y installant définitivement en sont d’autres exemples. Une quantité très importante de dessins de paysage dus à Grimaldi sont ainsi conservés. Tous sont réalisés à la plume et à l’encre brune et montrent un tracé constitué de hachures sagement régulières ; parfois, un tracé préliminaire à la pierre noire sert d’appui aux contours encrés. La plupart d’entre eux montrent des sites purement imaginaires et sont de facto ordonnés et structurés comme des peintures d’histoire autour d’éléments clés récurrents : fabriques, pont au-dessus d’un cours d’eau, arbre faisant office de repoussoir au premier plan, placés dans l’économie de la composition avec équilibre, symétrie et harmonie. Grimaldi « compose » et ce faisant, n’innove guère : il se contente de reprendre un schéma établi par ses devanciers bolonais, les Carracci auprès de qui il s’est formé ; il dut voir également des paysages de Domenichino conçus selon le même principe. Mariette le dit à sa manière : « Il est étonnant la quantité de dessins qu’on voit de lui. […] Cet artiste s’était fait une excellente manière de dessiner le paysage. […] Tous ses paysages paroissent faits dans son cabinet ; c’est la même manière dans tous. Un premier de ses paysages plaist, parce que la touche en est légère ; mais plusieurs de suite rebutent, parce qu’il n’y a point de variété, ni dans la composition, ni dans la touche. Tous ses paysages sont faits au premier coup, ainsi il ne faut y chercher aucune recherche.Ceux qui sont faits d’après nature ont le même défaut que ceux qui sont d’invention, ce qui montre peu de génie. »
Le dessin de Grenoble est justement un dessin « fait d’après nature » (c’est du moins l’effet qu’il donne à voir), commencé vraisemblablement in situ directement à la plume (nous n'avons pas noté de traces d'un tracé préliminaire à la pierre noire) et complété en atelier (?). Une annotation au recto permet de faciliter la reconnaissance du site dessiné – le site dessiné au verso est en revanche plus difficile à identifier[1]. Il s’agit du complexe basilical et palatial de Saint-Jean de Latran à Rome[2]. On peut y voir, au centre, l’obélisque du Latran, légèrement sur la gauche, le baptistère, puis le palais du Latran et le haut de la façade de la basilique majeure devant lesquels se distingue l’édifice de la Scala Santa, caché en partie par un aqueduc en ruines. Tous ces éléments sont structurés autour de l’obélisque qui fait office de point de fuite et de lieu d’ordonnance. Il est à la fois au centre du papier d’œuvre et au centre d’un schéma de composition en cours de réalisation. C’est peut-être ce qui fait l’intérêt de ce dessin tant pour le paysage semi-urbain du recto que pour celui du verso : leur conception réciproque semble suspendue. Grimaldi a ainsi dessiné les édifices et les arbres les plus proches de l’obélisque, tout comme il a dessiné au verso un édifice à plan centré en laissant en réserve la moitié droite du papier ; les lignes de construction et d’appui des éléments périphériques sont seulement esquissées. Cette suspension du tracé a un effet esthétique saisissant : les paysages semblent flotter sur le subjectile. La fonction de ce dessin est difficile à déterminer. Il ne semble pas avoir fait l’objet d’une gravure ni par Grimaldi ni par un autre graveur. Peut-être avait-il été conçu pour alimenter un marché de l’art naissant ou pour entrer directement dans une collection. C’est en tout cas un sujet qui mériterait d’être étudié.


[1] Il ne peut s’agir des églises de Santo Stefano Rotondo ou de Santa Costanza, ni du Colisée. Leur architecture respective est fort différente.
[2] Pour comparaison, voir deux autres dessins de Grimaldi représentant des sites romains : L’île Tibérine et le pont Fabricius et Le pont Cestius. Tous deux sont conservés à l’Istituto nazionale per la Grafica à Rome (inv. FC 125300 et FC 125301).

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