(Sans titre)

Andries Both est un peintre qui s’attache surtout
à représenter les couches populaires de
la société. L’artiste, originaire d’Utrecht, prolonge
dans son oeuvre la manière d’Adriaen
Brouwer, dont il reprend souvent les personnages
trapus, accusant des traits grossiers. On
connaît aussi de sa main quelques oeuvres
bibliques, traitées comme des scènes de genre.
Presque toutes les informations qui nous sont
parvenues sur l’artiste nous sont connues
grâce à Joachim von Sandrart, qui rencontre
Andries et son frère Jan vers 1625-1627 à l’Académie
de dessins d’Utrecht. Les jeunes artistes
faisant partie des différents ateliers de la ville
y perfectionnent leur formation en dessinant
d’après le modèle nu, comme le montrent
les célèbres gravures de Crispijn de Passe. Les
frères Both sont à cette époque élèves d’Abraham
Bloemaert (MG D 670 et MG D 1679) alors que Sandrart
apprend l’art de la peinture chez Gerrit
van Honthorst (MG D 231)[1]. Andries décide
ensuite de se rendre en Italie en passant par la France où sa présence est documentée d’abord
à Rouen, en 1633, puis à Paris. Entre 1635 et
1641, il vit plusieurs années mouvementées à
Rome[2] où il collabore beaucoup avec son frère
Jan. À plusieurs reprises, il peint les personnages
dans ses tableaux. Toutefois, Sandrart
exagère un peu cette collaboration. Celle-ci
est documentée mais n’est pas aussi systématique
que le laisse supposer l’historiographe
allemand. En mars 1642, alors qu’Andries et
Jan sont sur le chemin de retour en Hollande,
Andries se noie dans un canal à Venise, dans
des circonstances obscures (il reste à espérer
qu’un jour les archives de Venise donneront
plus de détails sur ce décès).
Andries Both se spécialise dans la représentation
des classes de la société les plus démunies,
qu’il dessine à la pierre noire ou à la plume avec
un grand réalisme : vagabonds, mendiants,
bohémiens, ivrognes, filles de joie et autres
marginaux, comme des charlatans vendant
leurs marchandises douteuses à des gens naïfs. Plusieurs scènes de rue rapidement esquissées
de sa main présentent des similitudes avec le
dessin de Grenoble : une à la pierre noire au
Prentenkabinet van de Universiteit de Leyde[3]
et une autre à la plume au musée Boijmans
Van Beuningen à Rotterdam[4].
Souvent, ces scènes se déroulent à proximité
d’églises, parfois de monastères, car les pauvres
y sont nourris et secourus par les religieux et
par des hommes et femmes pieux et dévoués.
Parfois, de puissantes murailles entourent les
personnages de Both et renforcent la simplicité
rustique de ses dessins. Savamment composées,
ces scènes sont d’une grande puissance
d’invention et d’une étonnante monumentalité.
Leur sens n’est pas toujours facile à
interpréter car, plutôt que de vouloir éveiller
l’esprit de compassion chez le spectateur, c’est
le côté comique des pauvres hères qui retient
l’attention de l’artiste, leurs attitudes lourdes
et maladroites, leurs visages grimaçants.
D’un coloris riche, parfois d’une rare subtilité
dans les bleus, les verts, les roses, ses oeuvres
montrent souvent une attention particulière
pour les effets de clair-obscur. Renate Trnek
constate, à juste titre, que le traitement de la
lumière évolue très rapidement chez l’artiste :
ses premières scènes de genre sont très obscures
et menaçantes et deviennent, durant
le séjour de l’artiste à Rome, de plus en plus
lumineuses[5]. Both utilise aussi le support de
cuivre pour augmenter la luminosité de ses
compositions. Ses tableaux sont généralement
de petites dimensions et destinés aux amateurs.
Son art semble avoir intéressé très tôt les
curieux de peinture, notamment en France,
où le Pauvre peintre dans son atelier[6] a été diffusé
par la gravure d’Abraham Bosse[7]. Ce succès
éclatant et précoce de l’artiste montre que
ses peintures et ses dessins se trouvent déjà en
France à son époque et que le goût pour l’art
hollandais dans ce pays existe du vivant même
des grands artistes du Siècle d’or.
Le support de parchemin du dessin de Grenoble
étonne dans le cas d’un dessin préparatoire.
Le groupe de personnages réunis
autour de musiciens et l’esquisse au verso,
avec quelques traits de sanguine, sont dessinés
d’une manière très rapide, presque géométrique.
Le trait apparemment peu soigné renforce
le caractère populaire de la scène mais
les deux personnages qui scandent la composition,
bien mis en valeur, montrent une très
grande maîtrise de la part de l’artiste. En effet, avec quelques traits, il parvient à suggérer le
relief et la profondeur.
Le personnage de droite est très proche d’un
bourreau visible dans un Couronnement
d’épines d’Andries Both[8]. Leonard Slatkes,
dans la notice du catalogue de cette vente,
et Arnauld Brejon de Lavergnée datent ce
tableau de la période utrechtoise de l’artiste,
vers 1627-1628[9]. Le dessin de Grenoble a sans
soute été réalisé à la même époque, et l’utilisation
du parchemin et de la sanguine révèle
peut-être chez ce jeune artiste un goût pour
l’expérimentation technique.
Une autre feuille de Jan Both est conservée
à Grenoble (MG D 671). Exposée en 1977, elle
montre des Figures dans un paysage. Cette
feuille, présentant trois mendiants exécutés
à la pierre noire et situés dans un paysage, est
tout à fait caractéristique de sa manière dans
les années 1630. Le dessin est plus fini et moins
original que celui dont il est question ici.
[1] Voir Sandrart, 1675, partie II, livre III, p. 312.
[2] Voir Houbraken, 1718, I, p. 363.
[3] Prentenkabinet van de Universiteit, Inv. AW 332.
[4] Musée Boijmans Van Beuningen, Inv. n° 229.
[5] Cat. exp. Vienne, 2007-2008, p. 208.
[6] Ce tableau – ou une version proche – a été vendu chez Sotheby’s à Londres, le 20 avril 1994, n° 18.
[7] Voir Préaud, 2004.
[8] Localisation inconnue, vente Christie’s, New York, 11 janvier 1991, n° 34.
[9] Brejon de Lavergnée, 1993, p. 194-195, ill.
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s.d.