Rhinocéros

Johann Elias RIDINGER
milieu de XVIIIe siècle
Sanguine et traces de rehauts de craie blanche sur papier vergé brun préparé
14,4 x 13,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 2559, n°2057).

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Ridinger est avant tout un peintre animalier. Exact contemporain de Jean-Baptiste Oudry, il excelle dans les arts graphiques plus que dans la peinture. Son oeuvre comprend mille six cents gravures et des centaines de dessins, acquis en partie en 1830 par le marchand Weigel de Leipzig des héritiers de Ridinger et publiés en 1856 par Thienemann. Le sens de l’observation de l’artiste est aussi juste que celui d’Oudry, ce qui a amené un certain Jacob Brückner à composer les vers suivants pour accompagner un autoportrait de Ridinger gravé par son fils Martin Elias : Wer hat das Thierreich so in seines Pinsels Macht ? Wer gibt des Schöpfers Hand in allem ihrem Pracht ? (« Qui tient autant le monde des animaux dans le pouvoir de son pinceau ? Qui donne autant de splendeur à la création divine ? »).
Son immense créativité s’exprime aussi bien dans les scènes de chasse, très naturelles, que dans les scènes de genre galantes et les sujets militaires. Ridinger a produit aussi une grande variété de dessins animaliers, représentant les animaux de la forêt comme les animaux domestiques ou exotiques, et publie de véritables recueils scientifiques sur la faune. Il satisfait surtout les admirateurs de la nature en dessinant et en gravant les Quatre saisons des chiens, les Quatre moments du jour des cerfs et d’autres curiosités de ce genre. Grenoble possède tout un ensemble de ses oeuvres, surtout des études d’animaux dont l’une des plus belles est le Cerf mort (MG D 1500).
Entre le 18 mai et le 16 juin 1748, l’artiste a pu voir un rhinocéros à Augsbourg et il l’a dessiné à plusieurs reprises. Selon une inscription, portée sur un dessin vendu chez Sotheby’s à Londres, le 1er juillet 1991 (n° 30), il aurait dessiné l’animal le 12 juin selon six angles différents. En effet, six dessins de l’animal ont été vendus au marchand Weigel par les héritiers de l’artiste[1]. Outre celui de la vente, exécuté à la pierre noire sur papier bleu qui a servi pour une gravure, deux autres feuilles du même motif et dans la même technique sont connues[2]. Un autre au moins a été vendu à Munich, le 3 et 4 novembre 1958 dans un recueil d’animaux de Ridinger[3]. Le livre consacré à l’artiste par Mathias Goeritz, paru en 1941, reproduit une autre étude du même genre. Le dessin de Grenoble, exécuté à la sanguine, est donc le dernier connu montrant cet animal. Le rhinocéros est représenté de face, s’appuyant contre un arbre. Il y a une petite imprécision dans la tête comme si l’animal avait bougé durant l’exécution du dessin. L’animal que Ridinger a dessiné a fait fureur en Europe[4]. Appelé Miss Clara (ou le rhinocéros hollandais), il arrive en Hollande en 1741, en provenance d’Inde et est la propriété d’un capitaine en retraite, H. David Douwe Mout van der Meer. Durant des années, il voyage dans une cage spéciale à travers l’Europe, d’abord dans le Saint-Empire, puis en France – l’animal est à Paris le 3 février 1749 et Oudry le dessine à plusieurs reprises – avant de faire le tour de l’Italie et de l’Angleterre. Miss Clara meurt, selon les légendes inscrites sur certaines gravures, en avril 1758, à Londres. T. H. Clarke, spécialiste des rhinocéros, conclut (avec l’humour propre à son pays) : No obituary notice has been found in London newspapers (« Aucune notice nécrologique n’a été trouvée dans les journaux londoniens »). Outre la gravure citée plus haut, Ridinger en a réalisé d’autres avec ce même motif : une gravure colorée montrant un rhinocéros bondissant, ou encore un combat d’éléphant et de rhinocéros. Ce même animal est aussi visible dans l’arrière-plan d’une gravure d’Adam et Ève.
Peut-être l’artiste voulait-il montrer à quel point la célèbre gravure sur bois de Dürer datée 1515, tant répandue en Europe et fixant l’image-type de l’animal, était fausse et demandait à être corrigée (Dürer n’avait jamais vu l’animal de ses propres yeux mais l’avait dessiné d’après une esquisse envoyée de Lisbonne).


[1] Thienemann, 1856, p. 280, no 12.
[2] Voir Clarke, 1984, p. 624-626, Clarke, 1986, p. 52-55.
[3] Le n° 1, le catalogue l’illustre à la page 8 mais la notice ne précise pas la technique.
[4] Voir Loisel, 1912, II, p. 11, 50-52, 278-280, et Clarke, 1986, p. 47-68.

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