Alpaïde sauvant Clovis (Chant XII de Batilde, reine des Francs)
Miniaturiste et dessinateur, Charles de Châtillon a laissé peu de traces de son activité artistique dans les archives. Les catalogues des Salons de 1799 à 1801, puis de 1808, recensent ses participations dans la section peinture avec quelques portraits en miniature et des camées imitant l’antique. On ne sait rien de sa formation ni de son parcours avant qu’il n’entre au service de Lucien Bonaparte en 1799, au moment où ce dernier est nommé ministre de l’Intérieur. À partir de là, le comte de Châtillon, en tant que familier de la cour du plus jeune frère de L’Empereur, apparaît à de multiples reprises dans les témoignages de l’époque [1]. Il restera d’ailleurs dix-huit ans à son service en tant que peintre-secrétaire et ami, témoin des moments les plus importants de son existence comme son mariage avec Alexandrine de Bleschamp, partageant son exil en Italie et en Angleterre. Plusieurs dessins de sa main, conservés au Museo Napoleonico à Rome, le montrent comme un portraitiste minutieux et un dessinateur-reporter fidèle, saisissant les moments d’intimité de son protecteur d’un crayon précis, assez proche de la manière d’Ingres. Mais il est aussi l’illustrateur tout désigné des longs poèmes en vers, Charlemagne ou l’Église délivrée [2] dont Lucien entreprend la rédaction dès 1804, et Batilde, reine des Francs [3], son pendant littéraire, né sous la plume d’Alexandrine. Le dessin de Grenoble, illustrant Batilde, est à ce jour le seul conservé d’un ensemble de quarante-huit illustrations destinées à orner ces deux ouvrages. La duchesse d’Abrantès relate dans ses Mémoires les circonstances dans lesquelles Charles de Châtillon a entrepris ce travail, à Thorngrove, durant l’exil anglais de Lucien (1810-1814) : « Monsieur de Châtillon […] travaillait aussi aux compositions de Charlemagne et de Batilde, au nombre de 48 dessins, tous composés par lui. Tous ces dessins, qui devaient rendre parfaitement la pensée de l’auteur, puisqu’ils étaient faits sous ses yeux, se gravaient en même temps à Londres chez le célèbre Heath ; mais la restauration en arrêta la suite [4]. » Ce dessin, signé et daté de 1816, prouve pourtant que ce travail s’est poursuivi en Italie, alors que Lucien et sa famille sont de nouveau en exil à Tusculum, dans les États romains. Réalisée sur calque (le papier calque végétal a été inventé vers 1809 par Canson), cette feuille, contrairement à ce qui est indiqué de la main de l’artiste, n’illustre pas le Chant X, mais bien le Chant XII de Batilde, qui se trouve être le dernier du poème. Il semble que celui-ci ne comptait au départ que dix chants, comme le confirme la duchesse d’Abrantès dans ses Mémoires, mais qu’Alexandrine l’a enrichi de deux chapitres supplémentaires avant sa publication, sans toutefois en altérer la fin. Dans cette scène, l’artiste illustre le moment où Alpaïde, la femme aux bras levés au centre, sœur du maire du palais Ebroïn, à gauche, tente d’avertir Clovis qui se trouve au fond, sous un dais avec sa fiancé Batilde, de l’empoisonnement du vin de messe qu’il s’apprête à boire. Ce crime est l’œuvre d’Ebroïn, qui veut venger Alpaïde, promise à Clovis et évincée au profit de la belle esclave Batilde. On reconnaît aussi à gauche, sous les voûtes de la basilique Saint-Denis, la figure de saint Éloi, orfèvre et pontife, qui est sur le point de célébrer le mariage du roi. Le trait linéaire et précis aux accents clairement néoclassiques, l’encadrement et la mention « ch. de Chatillon inv. del. » évoquent sans aucun doute un dessin prêt à être gravé, même si la planche correspondante, de la main du graveur anglais John Heath, n’a pu être retrouvée à ce jour. L’ouvrage d’Alexandrine, dans son édition de 1846, ne comporte aucune planche, ce qui suggère que cet ambitieux projet d’illustration n’a pu aboutir.
[1] Mémoires de Madame la duchesse d’Abrantès, ou Souvenirs historiques sur Napoléon : la Révolution, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration, t. VIII, Paris, 1835 ; Th. Iung, Lucien Bonaparte et ses mémoires (1775-1840), t. II et III, Paris, 1882 ; Mémoires secrets sur la vie privée, politique et littéraire de Lucien Bonaparte, comte de Canino, Bruxelles, 1815. Charles de Châtillon est lui-même l’auteur d’un ouvrage intitulé Quinze ans d’exil dans les États romains pendant la proscription de Lucien Bonaparte (Paris, 1842), qui raconte en particulier son enlèvement en 1817 par des brigands en lieu et place de Lucien. On y trouve aussi nombre d’anecdotes sur la vie quotidienne de la maisonnée princière à Tusculum, nom antique que Lucien donnait à la villa Rufinella à Frascati qu’il avait acquise dans les environs de Rome.
[2] Lucien Bonaparte, prince de Canino, Charlemagne ou l’Église délivrée, poème épique en vingt-quatre chants, Paris, 1815, 2 vol.
[3] Alexandrine Bonaparte-Lucien, princesse de Canino, Batilde, reine des Francs, poème en douze chants, Paris, 1846.
[4] Voir note 1. chapitre XII, p. 327.
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