(Sans titre)

Vincenzo TAMAGNI dit VINCENZO DA SAN GIMIGNANO
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

Voir sur navigart

L’ancienne attribution à Tamagni se justifie pleinement. Ce petit maître originaire de San Gimignano en Toscane est plutôt bien connu comme dessinateur grâce à un corpus se montant à une trentaine de feuilles [1]. David E. Rust définit son art de la manière la plus juste en disant qu’il est « un artiste provincial essayant de combiner les styles florentins et siennois du Quattrocento et de la haute Renaissance avec Raphaël ». Une vision panoramique, tant de son œuvre peint que de son œuvre graphique, montre en effet combien sa manière est redevable des grands maîtres toscans de la seconde moitié du XVe tel Ghirlandaio. Il est vrai que, selon certains spécialistes, il se serait formé auprès de Sebastiano Mainardi, élève, beau-frère et collaborateur du maître florentin. Tamagni fit deux voyages à Rome : le premier de 1512 à 1520, entrecoupé d’un déplacement en Ombrie, à Arrone en 1516, et le second de 1525 à 1527, durant lequel il fit de fréquents retours dans sa ville natale. Le sac de Rome le contraignit à revenir à San Gimignano. C’est durant son premier voyage qu’il intégra l’atelier de Raphaël. Selon Vasari, il participa au décor des Loges au Vatican. Malgré sa connaissance des œuvres de l’Urbinate, la plupart des dispositifs iconographiques qu’il élabora au cours de sa carrière s’ancrent dans une tradition toscane respectée à la lettre. Cela concerne principalement les schémas dispositionnels des Vierges à l’Enfant avec saints.
Le dessin de Grenoble prépare justement, sur son recto, une disposition de ce type. Et comme un certain nombre de dessins de l’artiste, il est possible de l’agréger à deux autres feuilles et de constituer in fine un dossier génétique aussi petit soit-il. Celles-ci sont conservées à la Biblioteca Reale de Turin et à l’Art Museum de l’université de Princeton. Les trois dispositifs étudiés montrent la figure de la Vierge à l’Enfant en trône, placée contre une niche entre six saints. Le dessin de Princeton étant un peu plus précis, il est possible d’en identifier quelques-uns : saint Étienne, à main gauche, reconnaissable aux deux cailloux incrustés dans son crâne et à son habit de diacre, un saint évêque, peut-être saint Nicolas – on croit distinguer trois bourses d’or sur l’Évangile qu’il tient –, à moins qu’il ne s’agisse de saint Augustin; à genoux, sur les marches, sainte Madeleine tenant une pyxide. Les trois saints représentés à main droite sont en revanche plus difficiles à identifier en l’absence d’attributs. Tout au plus peut-on dire qu’il s’agit de deux saints moines et d’une sainte moniale (sainte Monique ?). Les dessins de Grenoble et de Princeton sont, du point de vue de leur dispositif iconographique, les plus proches: la Vierge à l’Enfant, les attitudes respectives des six saints et le nombre de marches conduisant à l’estrade sont rigoureusement similaires. Le type préparatoire est cependant différent. Le caractère esquissé des figures, la présence d’un repentir au niveau de la tête du saint évêque, les multiples reprises des contours font dire que le dessin de Grenoble constitue vraisemblablement une première pensée tandis que la lisibilité plus grande des traits du dessin de Princeton amène à dire que ce dernier est une étude de composition mise au net du dispositif sommairement tracé sur la feuille grenobloise. L’un précède donc l’autre et on peut même dire sans trop se tromper que c’est très certainement le dessin de Grenoble qui a servi de modèle pour la réalisation de celui de Princeton. Le dessin de Turin est plus difficile à insérer dans la séquence préparatoire en raison de nombreuses variantes. L’attitude de la Vierge est ainsi légèrement différente: sa tête est tournée vers la gauche. La distribution des saints diverge également : un saint moine et un saint évêque sont représentés au premier plan, deux saintes sur les marches et les deux derniers en pied au même niveau que la Vierge. Est-ce à dire que le dessin turinois appartient à un autre dossier génétique? Il est difficile de l’affirmer catégoriquement d’autant plus qu’un dessin réalisé en étroite conjonction avec un autre présentant des propositions variées de mise en place – comme c’est le cas pour le dessin turinois – pour un même dispositif iconographique peut être (ré)utilisé pour une autre peinture non prévue lors de sa conception. L’œuvre de Tamagni comporte ainsi trois tableaux représentant des Vierges à l’Enfant entourées de saints. Le premier se trouve à San Gimignano dans l’église de San Gerolamo (1522), le deuxième dans l’église paroissiale de Pomarance – il est signé et daté de 1525 –, et le troisième dans la Collegiata de San Gimignano (non signé et non daté). Dans quelle mesure ces trois dessins ont pu être utilisés pour une ou chacune de ces peintures, il est impossible de le dire. Tout ce que l’on peut affirmer est que celles-ci montrent des dispositions et des saints tous différents de ceux étudiés sur les trois feuilles. Un argument positif peut être toutefois avancé pour soutenir l’hypothèse d’une appartenance commune des trois dessins à un même dossier génétique. La feuille grenobloise comporte au verso une étude dont le sujet se retrouve également sur le verso du dessin conservé à Turin. Il ne s’agit certes pas du même dossier génétique. Mais cela tend à signifier que ces dessins ont été réalisés dans des temps rapprochés. Ces deux versos représentent des séquences narratives de l’histoire de Diane et d’Actéon. Deux autres dessins appartiennent au même ensemble préparatoire. Le premier est conservé également à la Biblioteca Reale de Turin ; le deuxième est non localisé [2]. S’il n’est guère envisageable d’inférer des séquences chronologico- génétiques en raison de similitudes typologiques, il est en revanche possible d’analyser les dispositifs étudiés en fonction des éléments figurés et d’en déterminer des phases narratives. Le dessin non localisé met en scène Actéon placé au centre de la composition, surprenant Diane et ses compagnes en train de prendre leur bain. Le cadre de l’historia se situe en pleine nature : des arbres sont sommairement dessinés. À main droite, Tamagni a dessiné deux chasseurs, compagnons d’Actéon; un cerf gît à leurs pieds, préfiguration de sa métamorphose et de sa mort, à moins qu’il ne s’agisse d’Actéon métamorphosé mais cela semble peu vraisemblable. Un trait continu à la plume faisant office de cadre entoure l’ensemble du dispositif. Les deux dessins de Turin montrent un autre moment de son histoire. Actéon est toujours figuré en train de regarder la déesse. Les menaces non articulées qu’elle profère mentalement agissent cependant de manière performative : le malheureux est en train de se métamorphoser ; sa tête est maintenant celle d’un cerf. Dans la marge supérieure senestre du second dessin (inv. 15824 (a) v°), Actéon est complètement métamorphosé et ses propres chiens se jettent sur lui et le dévorent. L’emplacement de cette scène à l’écart de celle figurée à dextre laisse à penser qu’il s’agit d’une étude pour une composition indépendante. Ce n’est pas le cas de l’épisode appartenant à la même séquence narrative disposé sur l’autre dessin (inv. n. 15824a (b) v°), le malheureux cerf est représenté en train d’être dévoré par les chiens à proximité d’Actéon en cours de métamorphose. Aucun trait ne délimite les deux scènes et ne permet donc de les distinguer. Le dessin de Grenoble est, quant à lui, beaucoup plus complexe. Il juxtapose en effet sous forme contiguë tous les épisodes figurés de manière dissociée sur les autres feuilles. En premier lieu, Tamagni a représenté Actéon encore sous les traits d’un homme découvrant la nudité de Diane. Montré telle une variante, il l’a ensuite figuré doté d’une tête de cerf. Enfin, son corps totalement « cervidisé » est dessiné dans la continuité; des chiens semblent esquissés tout autour. Tamagni ne représente certes pas de manière intentionnelle le processus de métamorphose, même si un spectateur du XXIe siècle habitué aux chronophotographies d’Étienne Jules Marey serait enclin à y voir une sorte de décomposition spatio-temporelle de ce processus. Cette juxtaposition est en fait un procédé de recherches : il s’agit avant tout de visualiser sur un même subjectile les possibilités de représentation des différents moments successifs de cette histoire, lesquels sont dans une peinture représentés de manière unifiée sur un seul et même support ou a contrario figurés sous forme de parergues à l’arrière-plan. Le cadre même de l’historia (au sens de lieu), structure de l’espace unifié à venir, est déjà établi : non pas un cadre naturel comme dans le dessin non localisé mais un espace architecturé décoré d’une fontaine surmontée d’une niche dans laquelle est placée une statue, éléments que l’on retrouve déjà esquissés de façon sommaire sur l’un des dessins turinois (inv. n. 15824a (b) v°). C’est à vrai dire un décor que l’on retrouve plutôt dans d’autres dispositifs iconographiques comme ceux liés aux histoires de Suzanne et les vieillards et de Bethsabée, de telle sorte que l’on pourrait se dire que Tamagni a commis sur ces dessins une sorte de déplacement de dispositif allant à l’encontre de la tradition iconographique qui, elle, respectueuse du texte ovidien (« l’antre tout ruisselant d’eaux vives ») montre une nature plutôt sauvage ou devrait-on dire, en suivant Ovide, artistiquement sauvage.
Ces deux dossiers génétiques comportant un certain nombre de dessins ont la particularité de se présenter selon les mêmes termes. Tamagni a utilisé les deux côtés des feuilles dont il disposait pour deux sujets de nature différente. Ainsi les quatre dessins préparant des épisodes de l’histoire profane de Diane et d’Actéon sont établis sur des feuilles au recto desquelles sont figurées des scènes sacrées. Tamagni pense ses dossiers préparatoires de manière pratique en tenant compte de leur utilisation. Il peut de ce fait tourner et retourner les feuilles, les disposer sur un même plan afin de les confronter sans aucune difficulté et sans risque d’interférence. Toutes datent très certainement des alentours de 1525.


[1] Rust en 1968 recensait vingt-neuf dessins. Deux autres ont été publiés par Andrée Hayum en 1972. Felton Gibbons en 1977 a publié celui conservé à Princeton. Un autre s’est vendu chez Sotheby’s à Monte-Carlo le 20 juin 1987, lot 108, ancienne collection du docteur Gaud.
[2] Il appartenait en 1910 à Gustavo Frizzoni et était déposé à la Brera à Milan. Ce dessin est à la plume et à l’encre brune, 14 x 19 cm. Sur le verso est dessinée une Vierge allaitant.

Découvrez également...