Vue de la ville de Dalhem
Cette belle feuille topographique porte la
claire signature si caractéristique de l’artiste
Josua de Grave et est incontestablement de sa
main. La plume et le lavis précis, utilisés au
plan médian et à l’horizon, ainsi que la pointe
du pinceau trempée dans l’encre employée
pour le premier plan, sont autant de signes
reconnaissables de son oeuvre.
Cet artiste hollandais, formé à Haarlem, n’est
pas un militaire exerçant son art en amateur
comme on l’a longtemps cru, mais un peintre
et dessinateur qui a suivi certaines des campagnes
de Willem III[1]. Les premiers dessins
connus de sa main datent de 1667-1668 et présentent
des vues de Paris, où il a dû séjourner
avant de retourner s’installer aux Pays-Bas, à
Maastricht[2]. Sa présence est documentée dans
la ville à plusieurs reprises et il en produit un
grand nombre de vues[3], notamment autour de
1670, année de réalisation de la feuille conservée
à Grenoble.
Ainsi qu’il le fait souvent, Josua de Grave
indique la ville qu’il représente, à la manière
des vues topographiques gravées : dans le ciel,
au-dessus de la ville, on lit de stadt Dalem,
c’est-à-dire « la ville de Dalem ». On doit
l’identifier avec Dalhem, localité à mi-chemin entre
Liège et Maastricht, peu éloignée donc
du lieu de résidence de l’artiste[4]. Cette pittoresque
bourgade, avec ses vestiges du château
fort des comtes de Dalhem, bien visibles sur
notre dessin, a en effet été consignée à plusieurs
reprises par De Grave. Deux feuilles,
conservées au musée Boijmans Van Beuningen,
se sont révélées extrêmement proches de
celle de Grenoble[5]. L’une surtout (Inv. JdG 2)
présente exactement le même profil de ville,
mais inversé : on reconnaît à droite l’église
avec son clocher qui apparaît à l’extrême
gauche dans la feuille de Grenoble. Au milieu,
la ruine avec ses trois éperons bien reconnaissables,
enfin le massif de maisons assemblées
autour d’un manoir proéminent à gauche (il
est possible de reconnaître la plupart des toitures
sur les deux feuilles).
Le dessin de Rotterdam a d’ailleurs été réalisé
en premier car il porte la date 1670 : 8 juillet,
qu’il convient de lire comme le 7 août 1670[6].
La seconde feuille conservée au musée Boijmans
Van Beuningen est datée du même jour ;
le dessinateur s’est placé cette fois plus près
de la ville, sur un chemin en hauteur offrant
une vue plongeante sur les ruines et l’église se
profilant au-dessus des contreforts[7]. Le lendemain,
De Grave change d’angle de vue en allant
du côté opposé de la bourgade pour en faire
le dessin aujourd’hui à Grenoble qui porte lui
aussi l’indication précise de la date : 1670 : 8 :/8 :
La petite ville de Dalhem ne conserve
aujourd’hui que peu de traces des bâtiments et
fortifications qu’a représentés De Grave dans
ses dessins[8]. Toutefois, pour s’assurer de l’identification
correcte du sujet de ces feuilles, on
peut les comparer avec une représentation de
la ville exécutée par Valentijn Klotz qui porte
l’inscription non pas contemporaine, mais
ancienne : « Dalem dans la province belge de
Liège »[9]. Ce dessin présente une vue plus rapprochée
encore du site. On y reconnaît parfaitement
la même église et les restes de fortifications
au-dessous d’elle, que l’on aperçoit
également sur la feuille de Rotterdam.
[1] Pour les informations biographiques sur Josua de Grave, voir Breitbarth-van der Stok, 1969, p. 93 et passim.
[2] On ne connaît pas la raison de son séjour à Paris ; voir Alsteens & Buijs, 2008, p. 325.
[3] Beaucoup sont conservées aux archives de la ville de Maastricht, aujourd’hui versées au Regionaal Historisch Centrum Limburg (Maastricht).
[4] Marcel Roethlisberger proposait d’y voir la ville allemande de Dahlen (ou Rheindahlen), aujourd’hui un quartier de Mönchengladbach sur la rive gauche du Rhin.
[5] Van Hasselt, 1965, nos 427-428. Je tiens à remercier Hans Buijs qui a immédiatement eu l’intuition qu’il s’agissait de Dalhem. Je souhaite ici aussi exprimer tous mes remerciements à Albert Elen, conservateur en chef au musée Boijmans Van Beuningen, pour les photographies des dessins conservés à Rotterdam et les informations non encore publiées les concernant.
[6] Sur l’une de ses vues de Maastricht, De Grave a indiqué la date de la façon suivante : « 9m/9d 1671 ». Cela permet de éterminer que l’artiste plaçait en premier le chiffre pour le mois (le « m » pour « maand ») et en second celui du jour (le « d » pour « dag »). Ce dessin est signalé par Breitbarth van der Stok, 1969, p. 98. Un dessin de Valentijn Klotz conservé à Édimbourg utilise d’ailleurs la même convention pour la date ; voir Andrews, 1985, I, p. 44 (RSA 356), et II, fig. 295.
[7] Vue de Dalhem depuis un chemin haut, plume et encre brune, lavis gris sur des traces de pierre noire, 15 x 25 cm, signé en bas au milieu : "Josua de Grave fecit", daté et annoté en haut, au milieu : "de Stadt Dalem 1670 : 8 juillet", Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen, inv. JdG 3.
[8] Les fortifications ont été détruites lors des guerres contre Louis XIV (donc après 1671) et très peu de bâtiments antérieurs au xviiie siècle sont encore visibles. Seul demeure en place un massif quadrangulaire, vestige du château des comtes de Dalhem. Voir Jean Remiche (dir. éd.), Le Patrimoine monumental de la Belgique, vol. 8 (1), Wallonie : Liège, arr. A-J, Liège, 1980, p. 224 et 239-245.
[9] Valentijn Klotz, Vue de Dalhem avec une église et un pont, vers 1670, plume et encre brune, lavis gris, Maastricht, Regionaal Historisch Centrum Limburg, inv. LGOG 52. Cette même institution conserve une quatrième vue de Dalhem par De Grave pour laquelle l’artiste s’est cette fois placé à l’intérieur de la bourgade, inv. LGOG 1011.
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