Diane et Pan d'après Primatice

Considéré comme une feuille anonyme de
l’école italienne lors de son entrée au musée,
ce dessin était identifié, certainement grâce à
l’inscription ancienne « a Fontanebelleau »,
comme une copie d’après une composition de
Primatice. Une autre annotation sur l’ancien
montage conservait également une attribution
(probablement du début du XXe siècle) à Louis
Ferdinand Elle. Membre d’une dynastie d’artistes
d’origine flamande, Louis Ferdinand a
en effet gravé une série de planches d’après les
décors de Primatice à Fontainebleau[1]. Toutefois,
après vérification, nous n’avons retrouvé
aucune estampe correspondant au dessin de
Grenoble. De plus, ce dernier se différencie
par sa facture, à la fois précise et souple, de la
manière graphique du peintre Elle.
Si cette attribution est écartée ici, le dessin peut,
selon nous, conserver sa datation du XVIIe siècle
et être rapproché d’un groupe de copies,
d’après des décors bellifontains, réalisées dans
l’orbite de Rubens par des Flamands de passage
en France dans années 1630. L’ensemble le plus
important de ces copies se trouve aujourd’hui
conservé à la bibliothèque royale Albert Ier à
Bruxelles et se présente sous la forme d’un
album de soixante-huit dessins à la pierre noire,
parfois rehaussés de sanguine[2]. Les feuilles de
l’album de Bruxelles reproduisent des éléments
de décors peints par Primatice et par Nicolò
dell’Abate pour les châteaux de Fontainebleau,
Meudon et Fleury-en-Bière mais aussi pour
des hôtels particuliers à Paris tels que l’hôtel
de Montmorency ou l’hôtel de Torpanne. Des
annotations ponctuelles à la plume, du même
genre que celle placée sur le dessin de Grenoble,
localisent les compositions reproduites[3]. Ces
dernières conservent, la plupart du temps, la
forme de leur encadrement architectural. L’importance
de ces copies est d’autant plus grande
qu’elles sont parfois les seuls témoignages de
décors prestigieux aujourd’hui détruits ou, au
mieux, conservés en très mauvais état. Si leur
étude pose encore bien des problèmes, ces
feuilles rendent compte du fort regain d’intérêt
dont bénéficient les artistes de la première école
de Fontainebleau durant la première moitié du
XVIIe siècle.
Le rattachement de notre dessin à cette série,
à la fois par le style et l’inscription, entraîne
de nouvelles questions à propos de l’identité
de son auteur. En effet, l’attribution de ces
oeuvres est depuis quelques années l’objet de
débat. Dans un premier temps, l’ensemble des feuilles fut donné à Théodore van Thulden,
disciple de Rubens, présent à Paris entre 1631
et 1633 et auteur du célèbre recueil des Histoires
d’Ulysse, publié en 1633. En 1990, dans
une étude détaillée des copies, Jeremy Wood
en attribue les plus belles feuilles, dont celles
de Bruxelles, à Abraham van Diepenbeeck,
autre disciple de Rubens, également présent à
Paris peu après 1627 et jusqu’en 1633 au plus
tard[4]. Cette proposition repose sur les témoignages
du collectionneur Padre Sebastiano
Resta, qui possédait certains de ces dessins,
et une inscription (plutôt qu’une signature)
sur la copie d’après la frise de L’Adoration des
Mages de Primatice et de Nicolo dell’Abate
à la chapelle de Guise[5]. Le style des dessins
de Diepenbeeck, dont la production est à ce
jour mieux connue, présente également de
nombreuses affinités avec les feuilles de l’album
et une série de copies d’après la galerie
d’Ulysse, conservée à Vienne[6]. Désormais, rien
ne s’oppose à sa participation à l’entreprise de
ces copies[7], même s’il faut encore préciser la
part qui revient à chacun de ces artistes. Dans
l’état actuel des recherches, la seule certitude
est qu’il s’agit ici d’oeuvres réalisées en France
par un ou plusieurs artistes de l’entourage de
Rubens au début des années 1630.
Reste enfin à localiser précisément à Fontainebleau
la composition du dessin de Grenoble.
Même si cette dernière n’est connue par aucune
autre copie ou gravure, il est possible de la
mettre en relation avec l’un des nombreux compartiments
de la voûte de la galerie d’Ulysse,
le plus ambitieux décor conçu par Primatice
à Fontainebleau. La voûte était constituée de
quinze travées, dont chacune était composée de
plusieurs compartiments (un central, entouré
de quatre ou huit secondaires). S’y déployait
ainsi un impressionnant cycle de quatre-vingt-treize
sujets mythologiques, bordés de motifs
décoratifs et encadrés par des stucs dorés, peu
saillants. Cette suite prestigieuse de motifs fut
malheureusement détruite en 1739 après avoir
été, durant deux siècles, un modèle incontournable
pour des générations d’artistes. De sa célébrité
témoignent aujourd’hui des descriptions
élogieuses et de nombreuses copies peintes et
dessinées[8]. En suivant la reconstitution de ce
décor, proposée par Sylvie Béguin en 1985, le
sujet de notre dessin, mettant en scène la déesse
Diane accompagnée de Pan et d’un amour ailé,
peut être rapproché d’une des compositions de
la septième travée de la voûte de la galerie. La partie centrale de cette travée était ornée d’un
Apollon dans le signe du Lion. Autour étaient
disposées quatre autres compositions peintes
illustrant Orphée, Esculape, Latone et ses
enfants et notre Diane accompagnée de Pan[9].
La copie de Grenoble est désormais le premier
témoignage visuel de cette scène perdue.
[1] Voir Weigert, 1961, n°34-68, p. 171-173 et n°70, p. 173.
[2] Bibliothèque royale, Inv. n°S.V 76801 à 76864, 21 x 20 cm. Pour une bibliographie exhaustive sur ces dessins, voir en dernier lieu G. Kazerouni dans cat. exp. Modène 2005, n°198, 200, p. 419-421.
[3] Parmi les dessins de Bruxelles les plus proches de celui Grenoble et comportant une inscription similaire utilisant la même orthographe pour le mot « Fontanebelleau », voir Béguin, Guillaume et Roy, 1985, p. 170, fig. 68 (copie dessinée de l’Espérance faisant partie du décor de la huitième travée de la galerie d’Ulysse).
[4] Vlieghe, 2000, p. 50.
[5] Francfort, Städelsches Kunstinstitut, Inv. n°4292-4298. Voir Wood, 1990, fig. 15a-f, 16. Au dessin de Francfort s’ajoutent deux autres copies partielles de la chapelle de Guise, l’une est conservée au Museo Ceralbo à Madrid (Inv. 4974, cf. Sanz Pastor y Fernandez de Pierola, 1976, n°228, p. 245, comme anonyme italien) et l’autre aux Archives nationales à Paris (C.H.A.N., musée de l’Histoire de France, Inv. AE II 2928, cf. Taillard, 2005, p. 274).
[6] Le décor des parois de la galerie d’Ulysse est connu par plusieurs ensembles de copies dessinées. Parmi ces derniers, un groupe de cinquante-cinq dessins, à la pierre noire, parfois rehaussés de sanguine, conservés à l’Albertina à Vienne, était considéré comme de Van Thulden (Roy dans Bois-le-Duc, Strasbourg, 1991-1992, n°3B). Ces dessins sont de même facture que ceux de l’album de Bruxelles et de la feuille de Grenoble. Un deuxième groupe de dessins, en sens inverse des gravures et en tout point identiques, représente, selon Wood, les projets de Van Thulden pour les gravures (Wood, 1990, fig. 11, 33, 35, 38). Ces derniers présentent sur le côté, à la plume et d’une écriture française du XVIIe siècle, les moralités ajoutées aux images par l’éditeur de Van Thulden, Tavernier. L’attribution à ce dernier de ces feuilles, de moins belle qualité que les feuilles de Vienne, ne convainc pas Alain Roy et Sylvie Béguin (Bois-le-Duc, Strasbourg, 1991-1992, n°3A). Pourtant, ces dessins sont ceux qui présentent le plus d’analogies avec les gravures. Un autre ensemble dessiné, ayant appartenu à Resta et de même facture que les feuilles de Bruxelles, est conservé à Palerme. Les dessins y reproduisent les trophées d’armes qui ornaient autrefois Fontainebleau (voir Prosperi Valenti Rodino, 2001, p. 432-437).
[7] Vlieghe, 2000, p. 61.
[8] Pour une liste exhaustive, voir Béguin, Guillaume et Roy 1985 et Romani, dans cat. exp. Paris, 2004.
[9] Pour une description complète de cette travée, voir Béguin, Guillaume et Roy, 1985, p. 157-161.
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