Bataille de squelettes

Anonyme japonais, 19e siècle
XIXe siècle
44 x 110 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Don de Léon de Beylié en 1898

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Lavis sur soie
110 × f44 cm
Don de Léon de Beylié en 1898
MG 2010-0-392

Découvert dans les réserves du musée de Grenoble à l’occasion de l’exposition consacrée au général de Beylié, cet étonnant lavis sur soie n’est ni signé ni daté. Très peu d’informations sont disponibles à son sujet et il n’a jusqu’à présent jamais été exposé ni en France ni au Japon. Les maigres renseignements sur sa provenance sont fournis par le collectionneur lui-même dans une lettre qu’il adresse à sa mère en date du 15 août 1884 depuis Brest, où il est affecté en attendant son premier départ au Tonkin. Il expédie en effet à Grenoble tout ce qui meuble son logement en Bretagne avant d’embarquer, et précise dans ce courrier : « La danse macabre est une peinture japonaise sur soie, c’est une bataille entre les squelettes de deux cimetières voisins. » Entrée au musée en 1898 avant l’ouverture de la salle de Beylié en 1900, cette œuvre a donc été acquise avant 1884, c’est-à-dire à une époque où il n’est encore jamais allé en Extrême-Orient. Elle reflète donc un attrait précoce pour la production orientale ainsi qu’un certain humour, car cette peinture sommairement décrite par son propriétaire est avant tout parodique.
On y voit deux troupes de squelettes aux prises dans un paysage nocturne, parsemé en arrière-plan de tombes. On peut y déchiffrer quelques noms, malheureusement peu éclairants pour l’identification de la scène. Mené par un général monté sur un cheval, chaque camp est composé de fantassins armés de bâtons, courts et longs, faisant respectivement office de sabres et de hallebardes. Les rares ornements vestimentaires sont réservés aux deux chefs et l’on peut notamment remarquer le motif récurrent du lotus, ce grand symbole de la Délivrance dans le bouddhisme dont des feuilles servent ici d’épaulettes, de casque ou de selles. Agrémentant l’étendard du parti de droite, le même végétal, cette fois en feuille, en bouton et en fleur, joue le rôle de signe de ralliement assumé par la bannière bouddhique pour la faction adverse. Dernier détail, le sac de toile porté au cou par chacun des généraux de cette bataille improbable n’est pas sans faire penser à l’aumônière encore aujourd’hui utilisée par les moines itinérants ou les pèlerins (zuda-bukuro). Le pratiquant y met des offrandes, des livres de prières ou encore de la nourriture. Placée également autour du cou des morts, elle leur sert de viatique pour le dernier voyage vers l’au-delà. Cependant, l’allégresse et l’énergie avec lesquelles s’étripent les squelettes de ces cimetières voisins (rivaux ?) font aussi la joie du spectateur. Très loin de montrer la moindre propension à la méditation et à l’Éveil, ils semblent s’être réveillés de leur repos d’outre-tombe pour se battre tels ces titans belliqueux de la religion bouddhique (ashura), mettant à profit jusqu’à la moindre brindille trouvée sur les lieux pour assouvir leur vindicte guerrière et dérisoire.
Le thème ainsi que la facture de cette peinture étrange doivent être rapprochés de l’œuvre d’un très grand artiste japonais du XIXe siècle, Kawanabe Kyôsai (1831-1889). Profondément indépendant et subversif, ce peintre, artiste d’estampe et illustrateur, reçut une formation très complète dans tous les styles connus au Japon à l’époque, et exerça toute sa vie à Edo (future Tôkyô). Il laisse une œuvre importante et très diverse, dont on a surtout admiré dès son vivant la vigueur du style et le sens de la caricature. Plusieurs éléments de ce lavis sur soie suggèrent qu'il a soit été exécuté par Kyôsai, soit inspiré par son travail. Le thème des squelettes est récurrent dans son œuvre et le dessin proche de son style. Son travail est connu en Occident dès les années 1870. Il n'est donc pas si étrange qu'une telle peinture soit entrée dans la collection Beylié avant même son départ pour l'Asie.

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