Deux figures soulevant une draperie épiant une femme nue allongée sur une couche, reprises avec variantes de ces deux figures
Ce dessin prépare manifestement une peinture. Les traits autographes, délimitant une disposition historiée, sont les signes d’une présence toute virtuelle d’un tableau en devenir : ils circonscrivent une composition et à la fois feignent un cadre. Le sujet étudié à l’intérieur de cette circonscription est clairement érotique: une femme nue, allongée, à l’image des nus féminins couchés inactifs, genre pictural inauguré par Giorgione et promis à une longue histoire dans la peinture occidentale, s’offre au regard de deux personnages soulevant un rideau. Ils sont habillés. Toute leur action se résume à une fonction scopique : ce sont tout simplement des voyeurs. Sont-ils de sexe masculin ou de sexe féminin ? La question se pose et reste en suspens car à notre connaissance aucune peinture reprenant cette disposition n’est connue. Dans les marges de la feuille, ces deux figures de sexe indéterminé sont reprises et variées par trois fois, l’une de ces variantes a été biffée ; les deux autres se juxtaposent en hauteur. Il serait toutefois étonnant que ces deux figures soient féminines étant donné la nature du sujet traité. Celui-ci présuppose avant tout la présence de spectateurs masculins tant dans la peinture que devant la peinture. Ceux-ci se trouvent en effet des deux côtés de la femme nue, de telle sorte que les figures soulevant le rideau mettent en abyme tout spectateur réel. L’attribution à Flaminio Torri, peintre bolonais formé par Simone Cantarini – ce dernier lui légua son atelier à sa mort en 1648, à parité avec Lorenzo Pasinelli –, se fonde sur l’existence d’un autre dessin traditionnellement attribué à ce dessinateur et appartenant au même dossier génétique. Ce dessin est également réalisé à la pierre noire et est conservé à la Brera à Milan[1^]. Inutile de dire que les signes graphiques qui le caractérisent – sorte d’« infra-manière cantarinesque » – correspondent à ceux que l’on peut voir sur le dessin de Grenoble. Des variantes dans la disposition et dans l’action sont à noter : la femme est étendue sur la droite et surtout les deux figures sont en train de retirer un voile qui la protégeait des regards, le tout étant mis en scène dans un contexte dispositionnel (présence d’une couche, d’un rideau entrouvert) et préparatoire (présence de traits délimitant la composition) semblable. S’il ne semble pas exister de tableau en rapport direct avec l’une de ces deux dispositions de la main de Torri, il existe en revanche une peinture attribuée à Lorenzo Pasinelli en tondo représentant un sujet voisin[2]. Mais si, dans les deux dessins, le sujet étudié ne semble aucunement enveloppé dans un prétexte mythologique (peut-être est-il projeté mais il nous manque des éléments graphiques appartenant au même dossier), ce n’est pas le cas de ce dernier tableau: la femme vue de dos est devenue une Vénus et les deux voyeurs soulevant le rideau, des satyres. Entre les deux artistes, les idées ont dû circuler. On sait en effet qu’ils ont travaillé ensemble après avoir été formés par le même peintre.
[1] Inv. 561. 16,6 x 21,5 cm. Pierre noire.
[2] Ce tableau a aussi porté une attribution à Dal Sole. Pasinelli était réputé pour avoir représenté des « Veneri di bizzari pensieri » (Zanotti).
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