Etude pour une présentation au temple de l'Enfant Jésus

Attribuer ce dessin consiste pour le moment à
faire de l’historiographie, à l’instar, d’une
certaine manière, du dessin précédent (MG D 367
),
assigné tour à tour à Giorgione, Titien,
Domenico Campagnola, Stefano dall’Arzere et
Johann Stefan von Calcar, en fonction des
époques et des points de vue émis par les spécialistes.
Tout comme le Saint Jérôme pénitent, cette
Étude pour une Présentation au Temple de
l’Enfant Jésus appartient à un groupe stylistique
cohérent, composé d’une quinzaine de feuilles.
Elles ont fait l’objet d’une première étude dans
la somme consacrée au dessin vénitien, rédigée
par les Tietze et publiée en 1944, où elles
étaient attribuées (pour celles qui étaient déjà
regroupées, car depuis cette date, le nombre de
feuilles s’est étendu) au peintre vénitien Palma
il Giovane. À ce propos, il est à noter que le
dessin de Grenoble était déjà donné au
XIXe siècle, dans la collection Mesnard, à Palma. Les autres dessins appartenant à la même série
étaient, en revanche, le plus souvent classés
sous le nom de Tintoret. Cette dernière et
ancienne attribution était assez pertinente :
l’utilisation de surfaces contrastées d’ombres (le
lavis d’encre brune) et de lumières (réserve du
papier) rappelle en effet la manière de Jacopo
Tintoretto et plus encore de son fils, Domenico.
Cette proposition d’attribution à Palma n’a
cependant jamais réellement satisfait les
connaisseurs du dessin vénitien. Stefania
Mason, spécialiste du peintre, notait ainsi que
le style tintorettesque de ces dessins était
étranger à sa manière. Palma ne « tintorettise »
point de cette façon dans ses études à la plume
et au lavis. S’il y a du Tintoret chez Palma, il
faudrait en fait le chercher plutôt dans ses
études de figure à la pierre noire. L’identité de ce
dessinateur restait encore à ses yeux, jusqu’à une
date assez récente, une énigme si bien qu’elle en
venait à parler d’un «Mystery Master ».
En 2007, sont sortis simultanément deux
articles sur ce groupe de dessins, émettant deux
points de vue radicalement divergents sur leur
auteur présumé. Nicholas Turner propose
ainsi de les attribuer au peintre d’origine
crétoise, formé à Venise et installé à partir de
1577 en Espagne, Domenikos Theotokopoulos,
dit El Greco (c. 1541-1614). La connaissance
de l’œuvre graphique de cet artiste se limite à
très peu de feuilles sûres. Un seul dessin fait
l’unanimité : il a appartenu à Vasari qui l’aurait
reçu du dessinateur lui-même. Il s’agit d’une
étude d’après une ronde-bosse, inspirée du
Jour de Michel-Ange [1]. La matière stylistique de
ce dessin est tintorettesque mais d’un Tintoret
à la pierre noire. Et les quatre autres dessins qui
lui sont donnés à la plume ou à la pierre noire,
non seulement, dateraient tous de la période
espagnole, mais surtout présentent des signes
stylistico-techniques tellement différents de
ceux qui caractérisent ce groupe de dessins,
qu’il est difficile de suivre cette proposition.
Aucun élément de comparaison pertinent
n’existe donc. Et les rapprochements que
N. Turner opère avec les peintures du Greco,
datant de la période vénitienne ou romaine,
sont à nos yeux sujets à caution, tant il est difficile
d’instaurer une relation de finalité entre un
dessin appartenant à la catégorie des premières
pensées avec une œuvre picturale : les différences
sont telles, en matière de disposition des
figures, que ce type de rapprochement ne peut
que reposer sur des convictions personnelles.
L’autre proposition nous semble plus séduisante
et pourrait même être entérinée. Stefania
Mason en est l’auteur. Le nom avancé est celui
d’Alessandro Maganza (1556-1632). La
production graphique de ce peintre vicentin
est assez bien connue. Mais tous les dessins
identifiés et publiés sous son nom présentent
une manière de faire assez différente de celle
que l’on constate sur ce dessin : le trait est y
souple, le lavis, lorsqu’il existe, est également
léger et les formes sont généralement étirées.
La solidité des formes, le trait appuyé et épais,
dessiné à la pointe du pinceau, et le lavis
puissant et dense, s’y opposent. Cette opposition
n’est toutefois palpable que dans les
valeurs, la morphologie et les lignes de contour.
Des éléments semblent en effet se retrouver,
notamment dans les signes abrégés du visage,
le nez en L, les yeux réduits à des traits d’union,
la forme pointue de la tête. S. Mason émet alors
l’hypothèse, pour justifier sa proposition
d’attribution, que ces dessins, saturés de traits
et de contrastes de clairs et d’obscurs, appartiennent
à la jeunesse de l’artiste, lorsque à la
mort de son père Giambattista, en 1586, il
prend la direction de l’atelier familial. Le seul
problème est qu’aucune des peintures connues
d’Alessandro, datant de cette période, ne
présente d’affinités dispositionnelles avec ces
dessins (la plupart d’entre eux sont des études
pour une Adoration des bergers et pour une
Mise au tombeau, le sujet de la Présentation au
temple étant à cette heure un unicum).
La proposition d’attribution à Maganza, aussi
séduisante soit-elle, reste toutefois une hypothèse
de laboratoire. On pourrait même se demander
si l’ancrage chronologique (fin du XVIe siècle) est
pertinent, tant des affinités sont à noter avec des
œuvres graphiques de Pompeo Ghitti. L’exemple
de l’inv. MG D 396
est à ce sujet
éloquent: attribué un temps à Maganza, il s’est
révélé être un dessin de Ghitti datant de la
deuxième moitié du XVIIe siècle.
[1] Munich, Staatliche Graphische Sammlung
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