Etude pour une présentation au temple de l'Enfant Jésus

MAÎTRE MYSTÉRIEUX (LE)
XVIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre brune, rehauts de gouache blanche, sur un tracé préparatoire léger à la pierre noire sur papier vergé gris-vert
16,5 x 11,8 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins encadrés n°18)

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Attribuer ce dessin consiste pour le moment à faire de l’historiographie, à l’instar, d’une certaine manière, du dessin précédent (MG D 367 ), assigné tour à tour à Giorgione, Titien, Domenico Campagnola, Stefano dall’Arzere et Johann Stefan von Calcar, en fonction des époques et des points de vue émis par les spécialistes. Tout comme le Saint Jérôme pénitent, cette Étude pour une Présentation au Temple de l’Enfant Jésus appartient à un groupe stylistique cohérent, composé d’une quinzaine de feuilles. Elles ont fait l’objet d’une première étude dans la somme consacrée au dessin vénitien, rédigée par les Tietze et publiée en 1944, où elles étaient attribuées (pour celles qui étaient déjà regroupées, car depuis cette date, le nombre de feuilles s’est étendu) au peintre vénitien Palma il Giovane. À ce propos, il est à noter que le dessin de Grenoble était déjà donné au XIXe siècle, dans la collection Mesnard, à Palma. Les autres dessins appartenant à la même série étaient, en revanche, le plus souvent classés sous le nom de Tintoret. Cette dernière et ancienne attribution était assez pertinente : l’utilisation de surfaces contrastées d’ombres (le lavis d’encre brune) et de lumières (réserve du papier) rappelle en effet la manière de Jacopo Tintoretto et plus encore de son fils, Domenico. Cette proposition d’attribution à Palma n’a cependant jamais réellement satisfait les connaisseurs du dessin vénitien. Stefania Mason, spécialiste du peintre, notait ainsi que le style tintorettesque de ces dessins était étranger à sa manière. Palma ne « tintorettise » point de cette façon dans ses études à la plume et au lavis. S’il y a du Tintoret chez Palma, il faudrait en fait le chercher plutôt dans ses études de figure à la pierre noire. L’identité de ce dessinateur restait encore à ses yeux, jusqu’à une date assez récente, une énigme si bien qu’elle en venait à parler d’un «Mystery Master ».
En 2007, sont sortis simultanément deux articles sur ce groupe de dessins, émettant deux points de vue radicalement divergents sur leur auteur présumé. Nicholas Turner propose ainsi de les attribuer au peintre d’origine crétoise, formé à Venise et installé à partir de 1577 en Espagne, Domenikos Theotokopoulos, dit El Greco (c. 1541-1614). La connaissance de l’œuvre graphique de cet artiste se limite à très peu de feuilles sûres. Un seul dessin fait l’unanimité : il a appartenu à Vasari qui l’aurait reçu du dessinateur lui-même. Il s’agit d’une étude d’après une ronde-bosse, inspirée du Jour de Michel-Ange [1]. La matière stylistique de ce dessin est tintorettesque mais d’un Tintoret à la pierre noire. Et les quatre autres dessins qui lui sont donnés à la plume ou à la pierre noire, non seulement, dateraient tous de la période espagnole, mais surtout présentent des signes stylistico-techniques tellement différents de ceux qui caractérisent ce groupe de dessins, qu’il est difficile de suivre cette proposition. Aucun élément de comparaison pertinent n’existe donc. Et les rapprochements que N. Turner opère avec les peintures du Greco, datant de la période vénitienne ou romaine, sont à nos yeux sujets à caution, tant il est difficile d’instaurer une relation de finalité entre un dessin appartenant à la catégorie des premières pensées avec une œuvre picturale : les différences sont telles, en matière de disposition des figures, que ce type de rapprochement ne peut que reposer sur des convictions personnelles. L’autre proposition nous semble plus séduisante et pourrait même être entérinée. Stefania Mason en est l’auteur. Le nom avancé est celui d’Alessandro Maganza (1556-1632). La production graphique de ce peintre vicentin est assez bien connue. Mais tous les dessins identifiés et publiés sous son nom présentent une manière de faire assez différente de celle que l’on constate sur ce dessin : le trait est y souple, le lavis, lorsqu’il existe, est également léger et les formes sont généralement étirées. La solidité des formes, le trait appuyé et épais, dessiné à la pointe du pinceau, et le lavis puissant et dense, s’y opposent. Cette opposition n’est toutefois palpable que dans les valeurs, la morphologie et les lignes de contour. Des éléments semblent en effet se retrouver, notamment dans les signes abrégés du visage, le nez en L, les yeux réduits à des traits d’union, la forme pointue de la tête. S. Mason émet alors l’hypothèse, pour justifier sa proposition d’attribution, que ces dessins, saturés de traits et de contrastes de clairs et d’obscurs, appartiennent à la jeunesse de l’artiste, lorsque à la mort de son père Giambattista, en 1586, il prend la direction de l’atelier familial. Le seul problème est qu’aucune des peintures connues d’Alessandro, datant de cette période, ne présente d’affinités dispositionnelles avec ces dessins (la plupart d’entre eux sont des études pour une Adoration des bergers et pour une Mise au tombeau, le sujet de la Présentation au temple étant à cette heure un unicum).
La proposition d’attribution à Maganza, aussi séduisante soit-elle, reste toutefois une hypothèse de laboratoire. On pourrait même se demander si l’ancrage chronologique (fin du XVIe siècle) est pertinent, tant des affinités sont à noter avec des œuvres graphiques de Pompeo Ghitti. L’exemple de l’inv. MG D 396 est à ce sujet éloquent: attribué un temps à Maganza, il s’est révélé être un dessin de Ghitti datant de la deuxième moitié du XVIIe siècle.


[1] Munich, Staatliche Graphische Sammlung

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