Joyeuse compagnie avec un joueur de luth

Gerrit VAN HONTHORST dit GHERARDO DELLE NOTTI
vers 1619 - 1620
23,3 x 32,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°190).

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Élève d’Abraham Bloemaert, Gerrit van Honthorst est au XVIIe siècle un artiste réputé, travaillant en dehors des Provinces-Unies, en Italie et en Angleterre. On le considère aujourd’hui comme le plus important peintre caravagesque d’Utrecht. À l’âge de vingt ans environ, il quitte l’atelier de son maître pour se rendre à Rome. Son activité durant ses premières années romaines demeure obscure – sa présence à Rome est documentée dès 1616 –, mais on sait qu’il travaille pour les églises et les grandes familles italiennes jusqu’à son retour à Utrecht en 1620. Il exécute aussi des scènes de genre pour le grand-duc de Toscane, Cosimo II. Ainsi, le dessin de Grenoble, mis au carreau à la pierre noire, prépare savamment une Joyeuse compagnie avec un joueur de luth, décrite dans le Trattato della Pittura de Mancini, dont le manuscrit date de 1620. Ce tableau, conservé aujourd’hui à la Galerie des Offices à Florence (inv. 730), est très célèbre à l’époque comme le montre le grand nombre de copies et de gravures[1].
On connaît aujourd’hui environ soixante dessins de Honthorst illustrant tous les sujets chers à l’artiste, thèmes religieux ou mythologiques, scènes de genre et études de nus. Honthorst aime dessiner sur des papiers gris à la plume et au lavis et les rehausse fréquemment de blanc. Il est difficile d’identifier les dessins connus avec les mentions des catalogues de vente qui sont souvent trop sommaires. Citons la vente Nicolas van Bremen à Amsterdam, le 15 décembre 1766, n° 255 qui comporte un dessin très comparable à celui de Grenoble, sans pour autant que l’on puisse affirmer que c’est bien celui-ci : « Une compagnie joyeuse qui boit et mange assise autour d’une table éclairée par une bougie, exécutée à la plume, lavée d’encre de Chine et rehaussée de blanc sur papier coloré[2]. »
Les compositions dessinées de Honthorst sont rapidement tracées. Négligeant les détails, ces dessins distribuent d’une manière intelligente les ombres et les lumières et montrent bien l’attention que l’artiste porte aux effets de clair-obscur. Tout cela justifie parfaitement son surnom italien de Gherardo delle Notti, terme qui fait à la fois référence à sa prédilection pour les scènes de nuit, éclairées par une lumière artificielle, et à la vie romaine nocturne, tant prisée par Honthorst et d’autres artistes caravagesques.
Après son retour à Utrecht, Honthorst continue pendant un certain temps à peindre des scènes de genre, regroupant divers personnages autour d’une table comme il le faisait en Italie, avant de se consacrer, dès la fin des années 1620, au portrait et à la peinture d’histoire. Cette évolution, due au changement général du goût en Europe, est répandue chez les peintres caravagesques, comme Simon Vouet par exemple. Honthorst séjourne avec succès durant l’année 1628 à Londres et ses multiples peintures pour Christian IV, roi de Danemark, et pour la cour de La Haye témoignent de sa grande renommée internationale.
Le dessin de Grenoble, exécuté vers 1619- 1620, montre une compagnie galante, assemblée autour d’une table, représentée d’un point de vue plus éloigné que chez ses célèbres contemporains utrechtois Hendrick ter Brugghen et Dirck van Baburen qui cadrent leurs scènes de genre d’une façon plus resserrée et instantanée. La source lumineuse se trouve sur la table et éclaire d’une façon égale les protagonistes. Dans son tableau des Offices, Honthorst modifie cet aspect et introduit, à côté de la courtisane debout, donnant à manger au jeune homme, une seconde femme portant un cierge, ainsi qu’une autre source lumineuse, cachée à gauche de la composition par le cavalier vu de dos. Autres différences notables entre le dessin grenoblois et la peinture : le joueur de luth assis se tourne, dans le dessin, vers le glouton alors que, dans la peinture, il prête toute son attention à la belle à sa droite. Ce dernier détail accentue l’aspect galant de la peinture. Ainsi, la composition paraît plus équilibrée et elle se divise harmonieusement en deux parties. On remarquera aussi un traitement plus élégant dans la peinture, aussi bien dans les attitudes et expressions que dans les costumes. Il serait séduisant de voir dans les dessins des modelli présentés au commanditaire. Cette hypothèse n’a pu encore être vérifiée pour le moment car les dessins caravagesques demeurent très rares et il est impossible de préciser l’identification d’un commanditaire pour une grande partie de ces scènes de genre qui semblent plutôt avoir été exécutées pour le marché de l’art.
Un dessin dans le même style, conservé à l’Albertina à Vienne[3] (Inv. n°8437), prépare une Joyeuse compagnie, conservée à Munich et datée de 1623[4] (Alte Pinakothek, Inv. n°1312). C’est le seul autre exemple connu permettant une comparaison avec les oeuvres de Florence et Grenoble, entre dessin et tableau de genre. Pour aboutir à une composition plus fluide, des détails comme certains gestes et la position des têtes, ont été également modifiés par l’artiste. On constate que toutes les scènes de genre de Honthorst replacent les sociétés galantes dans un contexte moralisant, une tradition propre aux Pays-Bas depuis le XVe siècle au moins. L’ambiance, la musique, les plats et les boissons invitent le spectateur à méditer sur les plaisirs terrestres et les biens matériels et à ne point en abuser.


[1] Voir Judson et Ekkart, 1999, no 281, repr., et Papi, 1999, n° 31, repr.
[2] Een eetend en Drinckend Gezelschap zittende an een Tafel byeen Kaarsligt, met de pen en Oostind. Inkt gewassen, gehoogd met wit op gekleurs papier.
[3] Voir Judson et Ekkart, 1999, n° D 55, repr.
[4] Voir Judson et Ekkart, 1999, n° 283, repr.

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