Joyeuse compagnie avec un joueur de luth
Élève d’Abraham Bloemaert, Gerrit van Honthorst
est au XVIIe siècle un artiste réputé,
travaillant en dehors des Provinces-Unies,
en Italie et en Angleterre. On le considère
aujourd’hui comme le plus important peintre
caravagesque d’Utrecht. À l’âge de vingt ans
environ, il quitte l’atelier de son maître pour
se rendre à Rome. Son activité durant ses premières
années romaines demeure obscure – sa
présence à Rome est documentée dès 1616 –,
mais on sait qu’il travaille pour les églises et
les grandes familles italiennes jusqu’à son
retour à Utrecht en 1620. Il exécute aussi des
scènes de genre pour le grand-duc de Toscane,
Cosimo II. Ainsi, le dessin de Grenoble, mis
au carreau à la pierre noire, prépare savamment
une Joyeuse compagnie avec un joueur de
luth, décrite dans le Trattato della Pittura de
Mancini, dont le manuscrit date de 1620. Ce
tableau, conservé aujourd’hui à la Galerie des
Offices à Florence (inv. 730), est très célèbre à
l’époque comme le montre le grand nombre
de copies et de gravures[1].
On connaît aujourd’hui environ soixante
dessins de Honthorst illustrant tous les sujets
chers à l’artiste, thèmes religieux ou mythologiques,
scènes de genre et études de nus. Honthorst
aime dessiner sur des papiers gris à la
plume et au lavis et les rehausse fréquemment
de blanc. Il est difficile d’identifier les dessins
connus avec les mentions des catalogues de
vente qui sont souvent trop sommaires. Citons
la vente Nicolas van Bremen à Amsterdam, le
15 décembre 1766, n° 255 qui comporte un
dessin très comparable à celui de Grenoble,
sans pour autant que l’on puisse affirmer que
c’est bien celui-ci : « Une compagnie joyeuse
qui boit et mange assise autour d’une table
éclairée par une bougie, exécutée à la plume,
lavée d’encre de Chine et rehaussée de blanc
sur papier coloré[2]. »
Les compositions dessinées de Honthorst sont
rapidement tracées. Négligeant les détails,
ces dessins distribuent d’une manière intelligente
les ombres et les lumières et montrent
bien l’attention que l’artiste porte aux effets
de clair-obscur. Tout cela justifie parfaitement
son surnom italien de Gherardo delle Notti,
terme qui fait à la fois référence à sa prédilection
pour les scènes de nuit, éclairées par une
lumière artificielle, et à la vie romaine nocturne,
tant prisée par Honthorst et d’autres
artistes caravagesques.
Après son retour à Utrecht, Honthorst continue
pendant un certain temps à peindre des
scènes de genre, regroupant divers personnages
autour d’une table comme il le faisait en Italie,
avant de se consacrer, dès la fin des années 1620,
au portrait et à la peinture d’histoire. Cette
évolution, due au changement général du goût
en Europe, est répandue chez les peintres caravagesques,
comme Simon Vouet par exemple.
Honthorst séjourne avec succès durant l’année
1628 à Londres et ses multiples peintures
pour Christian IV, roi de Danemark, et pour
la cour de La Haye témoignent de sa grande
renommée internationale.
Le dessin de Grenoble, exécuté vers 1619-
1620, montre une compagnie galante, assemblée
autour d’une table, représentée d’un
point de vue plus éloigné que chez ses célèbres
contemporains utrechtois Hendrick ter Brugghen
et Dirck van Baburen qui cadrent leurs
scènes de genre d’une façon plus resserrée et
instantanée. La source lumineuse se trouve sur
la table et éclaire d’une façon égale les protagonistes.
Dans son tableau des Offices, Honthorst
modifie cet aspect et introduit, à côté
de la courtisane debout, donnant à manger au
jeune homme, une seconde femme portant un
cierge, ainsi qu’une autre source lumineuse,
cachée à gauche de la composition par le cavalier
vu de dos. Autres différences notables entre
le dessin grenoblois et la peinture : le joueur de
luth assis se tourne, dans le dessin, vers le glouton
alors que, dans la peinture, il prête toute
son attention à la belle à sa droite. Ce dernier
détail accentue l’aspect galant de la peinture.
Ainsi, la composition paraît plus équilibrée
et elle se divise harmonieusement en deux
parties. On remarquera aussi un traitement
plus élégant dans la peinture, aussi bien dans
les attitudes et expressions que dans les costumes.
Il serait séduisant de voir dans les dessins
des modelli présentés au commanditaire.
Cette hypothèse n’a pu encore être vérifiée
pour le moment car les dessins caravagesques
demeurent très rares et il est impossible de
préciser l’identification d’un commanditaire
pour une grande partie de ces scènes de genre
qui semblent plutôt avoir été exécutées pour le
marché de l’art.
Un dessin dans le même style, conservé à
l’Albertina à Vienne[3] (Inv. n°8437), prépare une
Joyeuse compagnie, conservée à Munich et datée
de 1623[4] (Alte Pinakothek, Inv. n°1312). C’est le seul autre exemple connu permettant une comparaison avec les
oeuvres de Florence et Grenoble, entre dessin
et tableau de genre. Pour aboutir à une composition
plus fluide, des détails comme certains
gestes et la position des têtes, ont été également
modifiés par l’artiste. On constate que toutes
les scènes de genre de Honthorst replacent les
sociétés galantes dans un contexte moralisant,
une tradition propre aux Pays-Bas depuis le
XVe siècle au moins. L’ambiance, la musique,
les plats et les boissons invitent le spectateur
à méditer sur les plaisirs terrestres et les biens
matériels et à ne point en abuser.
[1] Voir Judson et Ekkart, 1999, no 281, repr., et Papi, 1999, n° 31, repr.
[2] Een eetend en Drinckend Gezelschap zittende an een Tafel byeen Kaarsligt, met de pen en Oostind. Inkt gewassen, gehoogd met wit op gekleurs papier.
[3] Voir Judson et Ekkart, 1999, n° D 55, repr.
[4] Voir Judson et Ekkart, 1999, n° 283, repr.
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