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Claes Jacobsz. VAN DER HECK (atelier de) ou Claes Dircksz. VAN DER HECK
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

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Cette feuille remarquable par ses dimensions et sa fraîcheur[1] étonne dès l’abord par le caractère quelque peu suranné de sa facture si l’on considère la date bien lisible de son exécution : 1633. À cette date, beaucoup de paysagistes ont embrassé une approche plus naturaliste, tandis que ce dessin s’apparente aux compositions du début du xviie siècle. Ses rochers escarpés et fantaisistes, artistement découpés, sa vue plongeante dans une vallée où l’on distingue une ville le rapprochent des paysages qu’un Roelandt Savery réalise autour de 1600 (mais continue de peindre jusque dans les années 1620).
Marcel Roethlisberger a bien noté d’ailleurs l’« aspect retardataire » de cette composition lorsqu’il la présente à l’exposition de 1977. L’auteur l’attribue à Carel de Hooch, suivant en cela une inscription sur l’ancien montage[2]. L’exécution de la feuille nous a toutefois semblé trop éloignée de l’oeuvre graphique de ce peintre et dessinateur italianisant. En outre, De Hooch, lorsqu’il signe, le fait en respectant clairement le redoublement du « o » dans son patronyme[3].
C’est justement la signature du dessin qui nous a fourni la clé de l’attribution correcte. Partant de l’hypothèse que celle-ci était bien autographe – elle en a toutes les apparences, réalisée avec la même encre et dans une écriture bien caractéristique du XVIIe siècle –, on en a repris l’interprétation. La voyelle doit se lire « e » et la consonne finale « k », ce qui donne ainsi la signature « C. Heck », qui est celle que l’on trouve sur les oeuvres des peintres d’Alkmaar Claes Jacobsz. van der Heck et Claes Dircksz. van der Heck. Et c’est en effet dans les boîtes de documentation photographique concernant ces artistes qu’est classé le dessin de Grenoble au RKD. On doit cette identification au collectionneur et grand connaisseur Frits Lugt qui a envoyé à une date inconnue – mais il y a sans doute fort longtemps – la photographie de l’oeuvre à La Haye[4].
L’attribution de notre feuille à l’un ou à l’autre de ces deux peintres est particulièrement épineuse. La signature « C. Heck » apparaît en effet sur un groupe de tableaux de types, certes bien définis, mais très différents d’un point de vue stylistique. On trouve ainsi dans cet ensemble de grands portraits, des portraits de groupes et des tableaux d’histoire peints pour l’hôtel de ville d’Alkmaar, ces premiers types clairement datables du début du xviie siècle. On y rencontre en outre des vues topographiques – quelque peu naïves – de la ville d’Egmond, une bourgade toute proche d’Alkmaar, représentant en particulier son château et son abbaye. Y figurent enfin des paysages de fantaisie souvent agrémentés de scènes bibliques et datés des années 1630.
Le musée d’Alkmaar, qui conserve plusieurs tableaux des Van der Heck, prépare pour l’automne 2014 une exposition monographique sur leur atelier. C’est l’actuel état des recherches que Christi Klinkert et Alice Taatgen ont menées dans ce but qu’il m’est ici permis de présenter[5]. T. P. H. Wortel avait établi dans son article publié en 1943 qu’il existait trois peintres actifs sous le nom de Van der Heck dans la première moitié du XVIIe siècle : Claes Jacobsz., Claes Dircksz. et Marten Heemskerck van der Heck[6], tous trois descendants de l’illustre Marten van Heemskerk. Wortel a toutefois été trop généreux avec Claes Jacobsz. à qui il attribue tout l’oeuvre signé « C. Heck », tandis qu’il décrit son petit-neveu Claes Dircksz., comme un « peintre qui ne s’éleva pas au-dessus de la médiocrité et ne joua ainsi aucun rôle sur le théâtre de la peinture »[7]. Marijke de Kinkelder, notant combien cet oeuvre peint était hétérogène, a rendu à Claes Dircksz. un certain nombre de tableaux, en particulier les paysages de fantaisie que nous évoquions plus haut (le troisième groupe d’oeuvres)[8].
La signature de ces paysages, réalisés dans les années 1630, demeure identique à celle que l’on trouve sur les tableaux peints dans les décennies précédentes. Ils doivent donc sortir du même atelier, fondé par Claes Jacobsz. L’hypothèse actuellement proposée est que cet atelier avait pris une direction stylistique et iconographique différente, sans doute due à la venue d’un nouveau collaborateur. Il est tentant de voir dans cette nouvelle recrue la personne de Claes Dircksz.[9], mais il n’y a pour le moment aucune preuve concrète qu’il en soit ainsi. Une chose est certaine, le dessin de Grenoble a été réalisé dans cet atelier des Van der Heck et appartient au groupe de ces oeuvres qui y sont produites à partir de la fin des années 1620. Il présente en effet d’étonnantes similitudes avec plusieurs tableaux de ce groupe[10] et tout particulièrement avec celui signé et daté « 1636 », passé en vente en 2007[11].
Les compositions générales des deux oeuvres ne sont pas seulement identiques, avec leurs escarpements sur la gauche et leurs deux massifs montagneux qui ferment l’horizon, elles sont extrêmement proches jusque dans leurs détails : le tableau et le dessin présentent tous deux un grand sapin oblique qui barre le bord gauche de leur composition, deux conifères se découpant sur le ciel à droite du centre, enfin, un pont reliant les rochers à la vallée parsemée de fabriques.
Ces similarités sont une preuve supplémentaire que la feuille de Grenoble est bien de l’atelier des Van der Heck. Ce dessin est donc aussi le premier que l’on peut attribuer à ces peintres sur lesquels l’exposition d’Alkmaar devrait faire la lumière.


[1] Le papier bleu a certes pâli sur le recto de la feuille, ainsi qu’on le constate en observant le verso qui a conservé son ton d’origine, mais les rehauts de blanc et l’encre sont fort bien préservés.
[2] Roethlisberger notait cependant combien le dessin était atypique pour la production de l’artiste.
[3] On trouve ainsi « Cha[…] Hooch » dans une feuille conservée à Munich (Wegner, 1973, I, n° 639, II, pl. 238), « Chaerles Dhooch » dans des tableaux au Rijksmuseum à Amsterdam et au Centraal Museum à Utrecht (voir Van Thiel, 1976, p. 287 et De Meyere, 2006, no 62) et « charles d hooch » dans ses eaux-fortes (Hollstein, IX, 1-14).
[4] Je remercie Charles Dumas, conservateur en chef au RKD, pour cette information.
[5] Je tiens à vivement remercier Christi Klinkert, conservatrice au musée d’Alkmaar, d’avoir si chaleureusement partagé avec moi les résultats de leurs recherches encore en cours et d’avoir relu ma notice, qu’elle m’a ainsi permis de préciser et corriger en certains points.
[6] Wortel (1943) donnait à Marten Heemskerck van der Heck (vers 1607-1656) l’ensemble des « Egmondjes », ces petites vues naïves d’Egmond. Elles lui sont encore attribuées. Contrairement à ce qu’affirme la notice du Saur, ces vues ne reposent pas sur des gravures réalisées par Cornelis Visscher.
[7] Wortel, 1943, p. 49.
[8] Pour les attributions de M. de Kinkelder, voir le site du RKD.
[9] Si sa date de naissance est incertaine, on sait grâce à des documents d’archives que Claes Dircksz. van der Heck est nommé parmi les membres de la guilde de Saint-Luc d’Alkmaar en 1635 (Obreen, 1877-1887, II, p. 32.) et enterré le 31 janvier 1649 (C.W. Bruinvis, « Nadere Mededeelingen over Kunstenaars en hun werk in betrekking tot Alkmaar », Oud Holland, XXVII, 1909, p. 115-124, p. 119). Certains dictionnaires biographiques avancent qu’il aurait été élève du peintre Jan Nagel (Thieme et Becker, XVI, p. 201 et Saur, LXX, p. 497). L’information provient toutefois de Karel van Mander et date donc de 1604. Aussi, le « Niclaes van der Heck » qu’il nomme doit-il être Claes Jacobsz. (Van Mander, 1604, fol. 300, recto).
[10] Notamment les tableaux conservés au Stadhuismuseum à Zieriekzee (Inv. R 1576) et au Groninger Museum à Groningen (Inv. 1948-132).
[11] Vente Zurich, Koller, 18-21 août 2007, lot no 3027, ill. Atelier de Claes Jacobsz. van der Heck, probablement Claes Dircksz. van der Heck, Paysage de montagne avec des voyageurs, huile sur bois, 62 x 87 cm, s. d., b. d. : C Heck /Fecit 1636 (RKD).

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