Les Animaux musiciens

Grandville est encore un jeune artiste lorsqu’il publie Les Métamorphoses du jour, chez Bulla en 1828 et 1829. Les rééditions successives de l’ouvrage en 1831, 1836, 1854 et 1869, ainsi que sa traduction en anglais, dès 1829, témoignent de son incontestable succès tout au long du XIXe siècle. Intitulé Nouveau Langage musical, ce dessin prépare la 6e planche de cet album de jeunesse dont on conserve très peu d’études aquarellées. Le musée des Beaux-Arts de Nancy possède deux belles feuilles, acquises en 2002, de facture très semblable à la nôtre. Quatre d’entre elles, également très abouties, sont conservées au musée national de Varsovie. Les Métamorphoses du jour sont présentées par leur premier préfacier Achille Comte comme des « apologues aimables qui sont à la fois la peinture vivante de nos mœurs sociales et la satire des institutions »[1]. Le chapitre VI, qu’illustre Nouveau Langage musical, relate l’histoire de deux amis assistant au concert d’une société philharmonique où se produisent notamment un « violoncelle à la tête d’âne », « deux violonistes à figures de chat », un « timbalier peureux comme un lapin », et deux contrebassistes qui « vivent comme des ours »[2]. Ces analogies pseudo-savantes attestent de l’intérêt de Grandville pour la physiognomonie, très en vogue à l’époque. Grand lecteur de Buffon et de Lavater, il se livre à une parodie plaisante de ces taxinomies dans un style aussi réaliste que ses animaux sont fantaisistes. Les contours nets, soulignés d’un fin trait de plume, relèvent d’une forme de positivisme esthétique dont Baudelaire lui fera le reproche. À lire la préface autographe qui ouvre l’album de dessins des Fables de La Fontaine, véritable testament artistique de Grandville, dans lequel il décrit son mode de création, le dessin de Grenoble précède presque directement l’étape de la gravure. Les ombres et les volumes sont suggérés par des hachures entrecroisées et les couleurs indiquées d’un lavis délicat d’aquarelle. Dans la planche finale, les personnages sont plus nombreux et le coloris différent, mais Grandville n’ajoute pas de décor ni ne modifie la composition initialement choisie. Le musée des Beaux-Arts de Nancy conserve une esquisse du lapin timbalier, réalisée au crayon graphite, qui témoigne de ses tout premiers essais de composition[3]. Le motif des animaux musiciens a toujours passionné Grandville. Assez tôt dans sa carrière, il met en lumière les analogies entre le dessin et la musique, auxquels il est initié par son père. Plusieurs feuilles antérieures à celle de Grenoble, conservées à la bibliothèque municipale de Nancy, représentent à la plume et à l’aquarelle des animaux musiciens, comme Le Basson (1819), Le Canard (1820), Tout le monde s’en mêle (1820) ou Le Quintette à vent (1820). Il créera même des partitions, dont les notes sont formées de petits personnages, donnant figure humaine à la valse, au plain-chant et la barcarole. Ce dessin occupait une place de choix chez son donateur, Léonce Mesnard – qui possédait par ailleurs plusieurs ouvrages de Grandville –, puisqu’il était placé dans la chambre de son épouse jusqu’à l’entrée de l’œuvre au musée de Grenoble en 1914.
[1] Jean Ignace Isidore Gérard, dit J. J. Grandville, Les Métamorphoses du jour, préface d’Achille Comte, lith. de Langlumé, Paris, Bulla et Martinet, 1828.
[2] Ibid., p. 24.
[3] Dans cette préface, Grandville décrit ainsi son processus créatif : il jette d’abord une première esquisse sur papier ou sur une ardoise, qu’il peut effacer à la craie, afin de travailler la composition et le mouvement. Il réduit ensuite son sujet afin de mieux trouver l’effet, « n’ayant pas à m’occuper des expressions ni de la finesse de la forme ». Il termine le dessin à la plume et à l’aquarelle avant l’étape de la gravure, « la plus cruelle des tortures » selon lui, tant les graveurs mutilent son œuvre en la transcrivant sur bois de bout. Cité dans cat. exp. Grandville, dessins originaux, 17 novembre 1986 – 2 mars 1987, musée des Beaux-Arts, Nancy, Cabinet des dessins, Nancy, musée des Beaux-Arts, 1986, p. 1 à 6.
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