Salomé demande à Hérode la tête de saint Jean-Baptiste

FRANCKEN LE JEUNE
début XVIIe siècle
25,3 x 14,5 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°244).

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Le dessin était conservé sous le nom de l’artiste allemand Heinrich Aldegrever (vers 1501-vers 1558), graveur et peintre westphalien qui jouit au XIXe siècle d’une grande réputation. On lui attribue à l’époque, sans véritable raison d’ailleurs, de nombreuses oeuvres, alors qu’on le connaît aujourd’hui principalement comme portraitiste et ornemaniste. Un second dessin, légué par Léonce Mesnard à Grenoble, est entré sous une attribution à Aldegrever. Ce Saint Jérôme est considéré aujourd’hui comme une oeuvre, soit de Bernardino Butinone, soit de Bernardo Zenale, et provient de la prestigieuse collection Vallardi[1].
Cette Salomé demande à Hérode la tête de saint Jean-Baptiste revient à Frans II Francken, artiste flamand actif presque un siècle après Aldegrever. Au cabinet d’art graphique de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg se trouve une autre version identique, rehaussée d’aquarelle[2], et il en existe ou en existait sans doute encore d’autres. Au premier plan se profilent Salomé et Hérode. À l’instigation de sa mère Hérodias, Salomé demande à Hérode la tête de saint Jean-Baptiste. Visiblement irrité, le roi cède à sa demande, durant un festin, comme il l’avait promis auparavant. Dans l’arrière-plan à gauche, sous un porche, prend place le festin, la fête d’anniversaire d’Hérode, alors qu’à droite, devant sa prison, se déroule la décapitation du saint[3]. Le regard sombre d’Hérode et son costume oriental se retrouvent dans d’autres peintures de Francken comme par exemple dans la figure du sinistre empereur Dioclétien, sur le panneau central du triptyque Les quatre saints couronnés, commandé par la guilde des sculpteurs d’Anvers en 1624[4]. Francken est, au début du XVIIe siècle, l’un des artistes les plus populaires d’Anvers. Un important atelier lui permet de répondre à de nombreuses commandes et de diffuser son oeuvre. Les innombrables variantes et copies sorties de cet atelier sont souvent de très grande qualité, de sorte que la question d’une éventuelle participation de Francken à ces oeuvres se pose à de multiples reprises. Ses compositions variées, animées de nombreuses figures, son style vigoureux et narratif lui assurent de son vivant une renommée européenne. Comme bon nombre de ses collègues, Frans Francken II collabore parfois avec d’autres artistes anversois. Spécialisé dans les figures humaines, il s’associe à des paysagistes, des peintres animaliers et de fleurs ainsi que des peintres d’architecture pour créer une oeuvre en commun.
Ses nombreux tableaux religieux et profanes sont finement peints, très détaillés et l’aspect pittoresque y domine. Francken invite le spectateur à se délecter des habits somptueux, des accessoires précieux et des intérieurs tantôt grandioses, tantôt intimes. L’artiste préfère un point de vue assez aérien qui lui permet d’embrasser une multitude de choses représentées.
La feuille de Grenoble montre que les dessins finis, rehaussés d’aquarelle, étaient aussi très recherchés des amateurs même si le nombre de ceux qui sont conservés est plus limité aujourd’hui en raison de leur fragilité. Exécutée à la même période que ses tableaux, cette oeuvre est marquée par un retour délibéré à la Renaissance, période à laquelle brillait Anvers de sorte que l’attribution à Aldegrever, peintre du début du XVIe siècle, n’est pas dénuée de sens. Pourtant, cette feuille de Francken, conservée jusqu’alors sous le titre Couple en tenue de cour, s’inspire plutôt de dessins de Bernard van Orley. La nostalgie de cette période, faste mais de courte durée et interrompue par les conflits religieux, est bien sensible dans l’art anversois du XVIIe siècle.
Francken dessinateur demeure un sujet peu travaillé. On connaît surtout de sa main des dessins préparatoires à ses peintures. Citons le Triomphe d’Amphitrite du Kupferstichkabinett à Dresde[5], qui prépare le tableau de même sujet conservé à Manchester (New Hampshire), Currier Gallery of Art[6], et dont l’exécution est plus cursive et rapide que la feuille de Grenoble.


[1] MG D 2 ; voir cat. exp. Grenoble, 2010, cat. 2, p. 28-33, repr. p. 29. Pour Valardi, voir aussi cat. 2.
[2] Musée de l’Ermitage, Inv. 3109 ; voir cat. exp. Bruxelles, Rotterdam, Paris, 1972-1973, n°36, repr.
[3] Voir Matthieu, XIV, 3-12 et Marc, VI, 17-29.
[4] Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Inv. n°158-162 ; voir Härting, 1989, n°258, repr.
[5] Härting, op. cit., p. 97, ill. 89.
[6] Härting, op. cit., p. 96, ill. 88.

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