Femme arabe

Alexandre Gabriel DECAMPS
XIXe siècle
26,3 x 23 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Léonce Mesnard en 1874

Voir sur navigart

« Il a rallumé le soleil de Rembrandt au foyer de l’Orient[1]» s’extasient les Goncourt à l’Exposition Universelle de 1855, mettant en lumière une filiation évidente entre l’art ténébriste d’Alexandre Decamps et la peinture hollandaise du XVIIe siècle que celui-ci admirait au Louvre pendant ses années de formation. Pionnier de l’orientalisme, Decamps tire des réminiscences de son voyage de 1828 en Turquie[2] – précédant de quelques années le fructueux périple de Delacroix en Afrique du Nord– la plus grande partie de sa production pendant les trente années suivantes : des peintures de chevalet, des aquarelles et des dessins. Découvrant d’abord Constantinople, il se fixe ensuite à Smyrne, l’ancienne Izmir, et rapporte de ce long séjour en Orient des sensations et des souvenirs et bien peu de véritables études sur le motif. Paul Mantz nous informe en effet que, « dans cette course d’une année, il observa bien plus avec le regard qu’avec le crayon, et il est remarquable en effet que, parmi les nombreux dessins qui nous restent de lui, il en existe à peine quelques-uns qui paraissent avoir été faits d’après nature en Orient[3]» . Cette très belle feuille au fusain – entrée au musée en 1874 grâce à la générosité de Léonce Menard et jamais publiée sauf dans les catalogues anciens du musée[4] – est sans doute un dessin fait en atelier à Paris, bien après son retour d’Orient. Elle est signée en bas à gauche du monogramme « DC » que l’on retrouve sur nombre de feuilles de l’artiste[5]. La femme assise, drapée dans son haïk – ce vêtement porté dans tout le monde arabe – n’a d’ailleurs rien de spécifiquement turc, à l’inverse d’autres dessins et aquarelles de l’artiste où celui-ci se plaît à décrire précisément le costume local. Théophile Silvestre, publiant intégralement le contenu de la Vente des armes, costumes, etc., composant l’atelier de M. Decamps, 21, 22, 23 avril 1853, nous informe de la présence chez lui d’une très grande variété de costumes masculins et féminins (mauresques, turcs, albanais, juifs d’Orient, égyptiens, bédouins) avec leurs accessoires. Grâce à cet artifice, « les voyous errants des faubourgs de Paris [reçoivent] des lettres de naturalisation albanaise ou smyrniote écrites par la main de l’artiste à coups de crayon et de boulettes de pain[6]» , conclut le critique. Dans cette figure de Femme Arabe, les noirs profonds du fusain, estompés dans les ombres pour obtenir un gris velouté, sont délicatement gommés (à la gomme mie de pain ?) pour dessiner les stries de lumière qui marquent les plis de l’étoffe. Cette science luministe, servie en dessin comme en peinture et à l’aquarelle par une « cuisine » très élaborée dont se font écho nombre de critiques[7], fait l’admiration du peintre Eugène Fromentin dans Une Année dans le Sahel : « il a pensé qu’avec beaucoup d’ombre il parviendrait à produire un peu de soleil, et il a réussi.[8]» Les dessins au fusain abondent dans sa production[9] mais n’ont pas toujours un caractère préparatoire. Cette figure de femme arabe n’a en effet de correspondance avec aucune des peintures recensées de l’artiste, et pourrait donc être une de ces nombreuses feuilles abouties que Decamps destine à la vente, plus soucieux de vendre à ses clients du rêve oriental que de l’ethnographie. Des « dessins de M. Decamps, […] j’en ai vu certainement beaucoup qui me semblent faits pour sa clientèle : la feuille de papier est choisie, le sujet se trouve dans le milieu, les marges ménagées appellent le cadre doré et les enchères à hôtel des ventes », raille Théophile Silvestre à ce sujet[10].


[1] Edmond et Jules de Goncourt, La Peinture à l’Exposition de 1855, Paris, 1855, p. 45.
[2] Decamps entreprend ce voyage en compagnie du peintre de marine Ambroise-Louis Garneray, envoyé en Grèce pour commémorer la bataille de Navarin. Les deux artistes se séparent assez rapidement et Decamps continue seul vers l’Asie Mineure et y séjourne près d’un an.
[3] Paul Mantz, « Decamps », Gazette des Beaux-Arts, Artistes contemporains, Paris, 1859, p.104.
[4] Ce dessin ne figure pas dans le catalogue raisonné de l’artiste établi par Dewey F. Mosby en 1977, Alexandre-Gabriel Decamps, 1803-1860, New York, 1977.
[5] « Son DC puissant, au bas de trois coups de crayon ou de brosse, est la griffe du lion », Goncourt, op. cit., p.45-46.
[6] Théophile Silvestre, « Decamps », Histoire des artistes vivants français et étrangers : Études d‘après nature, première série, Paris, 1856, p.471-472.
[7] Théophile Silvestre dit que « Decamps travaillait à l’affranchissement culinaire de sa palette », op. cit. p.461. « M. Decamps use de tous les procédés connus et inconnus pour amener ses dessins au degré de perfection qu’il désire », Maxime Du Camp, Les Beaux-Arts à l’Exposition Universelle de 1855, Peinture–Sculpture, Paris, 1855, p.140.
[8] Eugène Fromentin, Une Année dans le Sahel, Paris, 1859, p.269.
[9] Une trentaine de dessins au fusain figure dans la vente après décès de l’artiste en 1865.
[10] Théophile Silvestre, op. cit., p.166.

Découvrez également...