Groupe de figures

Les annotations anciennes sont toujours à
prendre avec précaution. Il se trouve cependant
que celle figurant sur le montage de ce dessin,
écrite d’une belle écriture à l’anglaise, peut être
prise en considération et même entérinée.
L’existence d’œuvres graphiques comparables,
dûment attribuées à Pietro della Vecchia, a bien
entendu permis d’émettre un tel jugement. Un
dessin repère de sa main est souvent utilisé pour
étendre le corpus d’œuvres graphiques du
peintre vénitien, connu pour ses pastiches
habiles et ses imitations inventives d’œuvres de
Giorgione et de Titien – il fut surnommé le
« singe de Giorgione » –, productions certainement
encouragées par ses activités de marchand
et d’expert établi à Venise. C’est à cette heure
l’unique dessin préparatoire [1] à une peinture
recensée : il s’agit d’une étude de composition [2],
pour un tableau peint entre 1664 et 1674 pour
l’église des Jésuites de Venise, aujourd’hui
conservé au musée de Brest, représentant la
Conversion de saint François Borgia. Le canon
des figures, le ductus des traits de contours des
figures, la manière d’abréger les signes
mimétiques (nez, mains, yeux) se retrouvent
d’un dessin à l’autre.
La seule différence avec ce dessin repère est que
la feuille grenobloise n’a pu être mise en
rapport avec une peinture de Pietro della
Vecchia. Cette absence de rapport est regrettable
car il est du coup difficile d’identifier le
sujet exact étudié par le dessinateur. On aurait
pu croire à un moment que Pietro avait dessiné
et étudié seulement un groupe de six figures,
destiné à être intégré dans une composition
plus importante. Mais la présence de traits,
faisant office de cadre sur les pourtours
inférieur et latéraux du papier d’œuvre, fait dire
que cette dispositio constitue vraisemblablement
un projet de tableau en tant que tel. On
retrouve ce procédé de projection simulant un
encadrement à venir dans le dessin du Louvre
préparant la Conversion de Saint François
Borgia. Catherine Whistler a émis l’hypothèse
qu’il pourrait s’agir d’une rixe : « deux hommes
se battent, sous les yeux de quatre personnages
qui les encouragent […]. Les coups de pied que
se donnent les deux hommes et l’enchevêtrement
de leurs membres dégagent une énergie
chorégraphique ». Cette proposition d’identification
est sujette à caution. Car à partir des
formes graphiques existantes sont inférés des
attitudes et des gestes (une figure penchée sur la
droite, un bras tendu, un autre bras tendu, une
jambe levée), lesquels portent en eux un sens
qui ne peut à cette heure qu’être connotatif
(pour C. Whistler, une dispute ; idée qu’elle fait
reposer sur l’existence dans l’œuvre peint de
l’artiste de tableaux représentant des scènes
d’échauffourées entre soldats). Mais ces gestes
peuvent être tout autant interprétés comme
simplement et seulement chorégraphiques
(adjectif qu’elle utilise par ailleurs pour mieux
le dépasser et le nier). À ce propos, il n’est pas
anodin de préciser que, dans les anciens inventaires
et registres du musée, le dessin est en
toute simplicité identifié comme suit : « une
danse » et dans le cahier des dessins légués par
Léonce Mesnard, on lit ce titre joliment trouvé :
« sarabande ». On se contentera donc de cette
identification en affirmant que le dessin n’est
pas tant la représentation du mouvement que
la possibilité de représenter le mouvement.
C’est plus précisément une sensation de
mouvement rotatif qui est donnée à voir et à
comprendre et ce, à travers des formes variées et
répétées à partir d’un même module : une
figure penchée autour d’un axe central, situé à
la jonction des bras tendus, une jambe levée.
C’est là où réside la maîtrise graphique de
Pietro della Vecchia: avoir réussi à faire ressentir
une idée de mouvement alors que les formes
saisies sont figurées – nécessairement – à l’arrêt.
[1] Avec un dessin conservé dans une collection particulière allemande préparatoire (?) à un tableau représentant le Couronnement d’épines. La composition reprend toutefois une gravure de Lucas de Leyde.
[2] Ce dessin appartient au musée du Louvre, inv. RF 40971.