Allégorie de la Vérité et du Temps

La collection de Grenoble conserve quatre dessins
tardifs de Jacob Jordaens, dont deux sont
connus depuis bien longtemps : l’Allégorie de
la Vérité et du Temps, qui a même atteint une
certaine célébrité, et Jéroboam puni par le prophète
(MG D 66). En revanche, les deux autres
feuilles de Jordaens sont restées inédites (MG D 2708
et MG 465), bien
que le Mariage de la Vierge soit publié depuis le
XIXe siècle dans les catalogues du musée. L’Allégorie de la Vérité et du Temps et le
Mariage de la Vierge ont été acquis par le musée
à la vente Kaïeman, collection bruxelloise vendue
à Paris en 1858. Le catalogue de vente est
souvent si sommaire que, sans les indications
fournies par les inventaires du musée, il serait
impossible d’identifier leur provenance.
Inscrit dès 1615 à la guilde de Saint-Luc
d’Anvers en tant que peintre d’aquarelle
(waterschilder), Jordaens compte dès le début
des années 1620 parmi les plus importants
peintres de sa ville : fantaisie, énergie, représentations
réalistes, voici quelques termes qui
caractérisent son oeuvre riche et varié, dédié
aux compositions religieuses, mythologiques
et aux scènes de genre moralisantes. Pendant
presque quarante ans – à partir de la disparition
de Rubens en 1640 et de Van Dyck en 1641
jusqu’à sa mort en 1678 –, Jordaens occupe
la première place parmi les peintres anversois,
travaillant entre autres pour Charles Ier
d’Angleterre, les princes d’Orange à La Haye
et l’hôtel de ville d’Amsterdam. Surtout après
1645, un certain goût pour le décor se fait jour
dans son oeuvre, avec une gamme colorée de plus en plus monochrome et une certaine stylisation
des formes. Ces tendances sont compatibles
avec l’évolution de la peinture d’histoire
anversoise de la fin du XVIIe siècle, allant
vers plus de sobriété et de froideur.
L’Allégorie de la Vérité est datée de 1658 et prépare
peut-être une peinture allégorique ou,
selon D’Hulst, une tapisserie. Il en existe une
copie dessinée, exécutée probablement dans
l’atelier de Jordaens. Moins colorée que le dessin
de Grenoble, cette feuille est conservée à la
Bibliothèque royale de Bruxelles[1].
Datée du 14 novembre 1660, elle porte la
même inscription dans le cartouche. Il existe
aussi une peinture à l’huile d’après le dessin
de Grenoble. Cette oeuvre d’atelier montre
quelques variantes avec la présente feuille et
elle a été vendue chez Christie’s à Londres le
14 mai 1971 (n°53).
En 1877, Alfred Michiels est le premier à avoir
explicité le sujet que Jordaens résume dans les
quelques lignes, inscrites dans le cartouche
visible en bas de la feuille. Citons l’interprétation
exemplaire de Michiels : « Ils sont tous
réunis dans une grande salle, les puissants du
monde, les chefs politiques et les chefs ecclésiastiques,
non moins bornés les uns que les
autres, examinant d’un air stupide une figure
travestie et masquée, ayant pour costume un
large froc muni d’un capuchon : ils prennent
ce mannequin pour la vérité, l’auguste Vérité !
Chacun de ses admirateurs est une caricature :
un souverain bête et irritable occupe le haut de
l’image ; tout près de lui, comme son conseiller, se tient un fou avec sa marotte [remplacé dans
la copie d’atelier peinte par un serviteur noir].
Au-dessous d’eux, on voit un troupier ridicule,
sottement coiffé d’un casque interminable,
puis un cardinal, un évêque non moins imbéciles,
un juge inepte, un dévot sincère et obtus,
qui se confondent en admiration devant cette
maquette habillée, tandis qu’une jeune femme
du peuple, accompagnée de ses deux enfants,
se moque du vain simulacre. Derrière la fausse
vérité, on aperçoit la vraie, nue jusqu’à la ceinture,
que le Temps pousse devant lui, en la
tenant par la taille ; derrière le Temps, un petit garçon tout nu, emblème de la justice et de la
sincérité, porte dans ses mains des balances[2]. »
Selon D’Hulst, le poème moralisant de Jordaens
s’inspire du Spiegel van den Ouden
ende Nieuwen Tijdt de l’écrivain hollandais
Jacob Cats, publié en 1632. Cet auteur est bien
connu de Jordaens qui, vers 1645, s’était déjà
servi de ses poèmes pour une série de tapisseries,
les Proverbes.
[1] Bibliothèque royale, Inv. n°S. II.113.172 ; voir D’Hulst, 1974, II, n°C 98, repr. fig. 577.
[2] Michiels, 1877, p. 366-367.
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