Allégorie de la Vérité et du Temps

Jacob JORDAENS
1658
Pierre noire, sanguine, pastel, lavis d'encre grise et brune et lavis de sanguine, aquarelle, rehauts de gouache blanche, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune sur papier vergé beige (en plusieurs morceaux)
50,6 x 40,8 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à vente Kaïeman à Paris en 1858

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La collection de Grenoble conserve quatre dessins tardifs de Jacob Jordaens, dont deux sont connus depuis bien longtemps : l’Allégorie de la Vérité et du Temps, qui a même atteint une certaine célébrité, et Jéroboam puni par le prophète (MG D 66). En revanche, les deux autres feuilles de Jordaens sont restées inédites (MG D 2708 et MG 465), bien que le Mariage de la Vierge soit publié depuis le XIXe siècle dans les catalogues du musée. L’Allégorie de la Vérité et du Temps et le Mariage de la Vierge ont été acquis par le musée à la vente Kaïeman, collection bruxelloise vendue à Paris en 1858. Le catalogue de vente est souvent si sommaire que, sans les indications fournies par les inventaires du musée, il serait impossible d’identifier leur provenance. Inscrit dès 1615 à la guilde de Saint-Luc d’Anvers en tant que peintre d’aquarelle (waterschilder), Jordaens compte dès le début des années 1620 parmi les plus importants peintres de sa ville : fantaisie, énergie, représentations réalistes, voici quelques termes qui caractérisent son oeuvre riche et varié, dédié aux compositions religieuses, mythologiques et aux scènes de genre moralisantes. Pendant presque quarante ans – à partir de la disparition de Rubens en 1640 et de Van Dyck en 1641 jusqu’à sa mort en 1678 –, Jordaens occupe la première place parmi les peintres anversois, travaillant entre autres pour Charles Ier d’Angleterre, les princes d’Orange à La Haye et l’hôtel de ville d’Amsterdam. Surtout après 1645, un certain goût pour le décor se fait jour dans son oeuvre, avec une gamme colorée de plus en plus monochrome et une certaine stylisation des formes. Ces tendances sont compatibles avec l’évolution de la peinture d’histoire anversoise de la fin du XVIIe siècle, allant vers plus de sobriété et de froideur.
L’Allégorie de la Vérité est datée de 1658 et prépare peut-être une peinture allégorique ou, selon D’Hulst, une tapisserie. Il en existe une copie dessinée, exécutée probablement dans l’atelier de Jordaens. Moins colorée que le dessin de Grenoble, cette feuille est conservée à la Bibliothèque royale de Bruxelles[1]. Datée du 14 novembre 1660, elle porte la même inscription dans le cartouche. Il existe aussi une peinture à l’huile d’après le dessin de Grenoble. Cette oeuvre d’atelier montre quelques variantes avec la présente feuille et elle a été vendue chez Christie’s à Londres le 14 mai 1971 (n°53).
En 1877, Alfred Michiels est le premier à avoir explicité le sujet que Jordaens résume dans les quelques lignes, inscrites dans le cartouche visible en bas de la feuille. Citons l’interprétation exemplaire de Michiels : « Ils sont tous réunis dans une grande salle, les puissants du monde, les chefs politiques et les chefs ecclésiastiques, non moins bornés les uns que les autres, examinant d’un air stupide une figure travestie et masquée, ayant pour costume un large froc muni d’un capuchon : ils prennent ce mannequin pour la vérité, l’auguste Vérité ! Chacun de ses admirateurs est une caricature : un souverain bête et irritable occupe le haut de l’image ; tout près de lui, comme son conseiller, se tient un fou avec sa marotte [remplacé dans la copie d’atelier peinte par un serviteur noir]. Au-dessous d’eux, on voit un troupier ridicule, sottement coiffé d’un casque interminable, puis un cardinal, un évêque non moins imbéciles, un juge inepte, un dévot sincère et obtus, qui se confondent en admiration devant cette maquette habillée, tandis qu’une jeune femme du peuple, accompagnée de ses deux enfants, se moque du vain simulacre. Derrière la fausse vérité, on aperçoit la vraie, nue jusqu’à la ceinture, que le Temps pousse devant lui, en la tenant par la taille ; derrière le Temps, un petit garçon tout nu, emblème de la justice et de la sincérité, porte dans ses mains des balances[2]. » Selon D’Hulst, le poème moralisant de Jordaens s’inspire du Spiegel van den Ouden ende Nieuwen Tijdt de l’écrivain hollandais Jacob Cats, publié en 1632. Cet auteur est bien connu de Jordaens qui, vers 1645, s’était déjà servi de ses poèmes pour une série de tapisseries, les Proverbes.


[1] Bibliothèque royale, Inv. n°S. II.113.172 ; voir D’Hulst, 1974, II, n°C 98, repr. fig. 577.
[2] Michiels, 1877, p. 366-367.

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