Gun 1

William KLEIN
1999
125 x 150 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de l'artiste en 2000

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Exposition En Roue libre, 1er avril-3 juillet 2022

Salle 5

Mauvais genre

Corps souffrant, corps désirant, corps sexué, corps révolté : la question du corps traverse de part en part l’art contemporain. Si au début du XXe siècle la psychanalyse avait mis au jour les abîmes de l’individu et de la psyché, les contrecultures des années 1960 ont modifié en profondeur le discours sur le corps et la sexualité.

Volontiers subversives, les années 1970-1980 ont vu naître une nouvelle imagerie du corps. La période est parfois sombre pour ce dernier et ses représentations. Et l’on voit ainsi se succéder une cohorte de figures corporelles « problématiques ». Certains artistes nous rendent ainsi le cadavre familier, avec des effigies pétrifiées affirmant sans détour notre finitude. D’autres révèlent un état de crise du corps, nous le montrant inquiet, blessé, malheureux ou malade. Mais le corps dit aussi sa révolte, son combat pour la vie, sa résistance. Radicaux, jouisseurs, les artistes expriment à travers lui le souhait de retrouver une forme de sauvagerie, de pureté. S’il n’est pas rare de voir dans la création contemporaine des personnages insaisissables, dépassés par leurs désordres intérieurs et leurs égarements, ces êtres marginaux et transgressifs assument aussi pleinement leurs désirs les plus enfouis dans ce qui pourrait s’apparenter à une forme d’écart absolu. Avec un goût prononcé pour la mise en scène et le culte du narcissisme, chacun érige son propre corps au rang de matériau. Dans un contexte où le souci de soi et l’intimité prédominent, les sexualités jusqu’alors considérées comme marginales et la question de l’altérité ne cessent plus largement d’inspirer les artistes.

Dans son oeuvre littéraire puis graphique aussi hermétique qu’énigmatique, **Pierre Klossowski ** exprime ses fantasmes mâtinés d’érotisme noir. Sa dramaturgie singulière lui permet d’exprimer sa révolte contre toute forme de règle, de hiérarchie, de tabou. Le fantasme s’y révèle sans limites, lui permettant d’exorciser ses démons. Dans une suite de dessins équivoques où se mêlent fétichisme et transgression radicale, l’écrivain-dessinateur met en scène la soumission de son épouse, nous conviant à une forme de voyeurisme sacrilège. Roberte, épouse sage et fidèle, est aussi l’« Autre Roberte », celle qui, offerte telle une prostituée, se livre, comblée, à des rituels pornographiques. En soumettant le corps de sa compagne à une violence sadomasochiste, Klossowski s’inscrit dans le droit fil de l’érotisme tragique d’un Nietzsche et d’un Bataille. Sa pantomime maniériste repousse toujours un peu plus la frontière entre la vie et la fiction.

Enfant de Saturne, ange déchu, le sculpteur espagnol Juan Muñoz convoque un corps radicalement autre, inquiétant et monstrueux. Ses figures solitaires, sombres et mutiques deviennent ici le moyen le plus efficace de dénoncer, de révéler une humanité irrationnelle, violente, et d’exprimer une vision mélancolique et désenchantée du monde.

Sophie Calle, dans son éternelle quête de l’intime, interroge l’identité féminine. Dans un travail de nature psychologique et thérapeutique, l’artiste conjure en la racontant sa propre souffrance dans des créations qui ont valeur d’exorcisme, de catharsis. Engagée dans des expériences sinon radicales du moins singulières, elle soumet son corps au regard de l’autre et à l’expérimentation.

William Klein, dans son journal photographique, décrit, bien loin de l’American Way of Life, la mégapole de New York comme « un repaire miteux, corrompu, inconfortable, le coeur même de l’angoisse du monde. » Dépossédés, fuyants, imprécis, trash ou donnant le sentiment de surgir de l’image, ces corps « politiques » expriment à leur manière la violence du monde. Avec ses tirages peints, Klein bouscule les habitudes visuelles et les conformismes, ne s’interdit rien (bougé, flou, asymétrie, décadrage) incluant par là-même le corps du spectateur à ses clichés.

[Extrait du Journal de l’exposition En roue libre. Balade à travers la collection d'art contemporain du musée, musée de Grenoble, 1er avril-3 juillet 2022]

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