Métamorphose V, Méta-mécanique douce

En 1955, alors que la scène artistique se partage
entre tenants de l’abstraction géométrique
et représentants de l’abstraction lyrique,
l’exposition Le Mouvement organisée à la galerie
Denise René joue comme un détonateur. Elle est
l’occasion pour Jean Tinguely d’affirmer qu’un
art moderne joyeux, dynamique et satirique
peut voir le jour. Formé à l’École des Arts
Décoratifs de Bâle, Tinguely, encouragé par son
professeur Julia Ris, fait très tôt du mouvement
son moyen d’expression artistique. S’il peint
sans conviction des toiles abstraites, il aime
en revanche à expérimenter des systèmes de
rotation d’objets, créer des constructions en fil
de fer et des roues hydrauliques. La rencontre
de Daniel Spoerri, ancien danseur de l’opéra de
Berne, l’amène à transposer ses recherches sur
la scène avec son premier décor cinétique pour
le ballet Prisme (1953). Alors que l’abstraction
géométrique, notamment grâce à la parution de
l’ouvrage de Michel Seuphor, L’art abstrait. Ses
origines, ses premiers maîtres (1949), jouit d’un
certain prestige, Tinguely, installé à Paris avec
sa compagne la sculptrice Eva Aeppli, crée ses
premiers tableaux mobiles ou « reliefs métamécaniques
». Avec une ironie mordante, ceux-ci
viennent animer les formes de l’abstraction
géométrique en adoptant les noms parodiques
de Méta-Herbin, Méta-Malévitch (1954) ou Méta-
Kandinsky (1956). Stimulé par les manifestes
de l’artiste italien Bruno Munari Machine-Art
Machinisme, Art organique, Désintégrisme et art
total, Tinguely, encore incertain quant à leur
dénomination, présente à Milan ses machines
sous le titre d’Automates, sculptures et reliefs
mécaniques.
Métamorphose V, Méta-mécanique douce est
un relief blanc constellé de formes métalliques
noires qui s’animent doucement grâce à
l’action d’un moteur. Le mécanisme laborieux
et la lenteur des mouvements donnent à cette
composition abstraite un aspect ironiquement
ludique. Tinguely sait jouer du « rythme simple
et régulier captivant nos âmes d’enfants,
promptes à s’émerveiller devant un essuie-glaces
ou un malaxeur de ciment » (Pontus
Hulten). Métamorphose V assume sa mécanique
incertaine, affirmant sa singularité à rebours des
compositions aseptisées de l’Op art. Poursuivant
sa quête du mouvement, Tinguely continue de
faire de la mécanique son domaine privilégié
avec les Balubas (1962), puis les Rotozazas (1967),
sculptures ludiques et machines parodiques.
En 1959, il perfectionne ses machines à dessiner
ou à peindre, les Méta-Matics. La rencontre de
Marcel Duchamp à New York en 1960 le conforte
dans ses choix. C’est par le mouvement qu’il
s’appropriera le réel, érigeant la vitesse pure en
philosophie notamment au sein de l’aventure du
Nouveau réalisme.
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