Lancement d'un bateau en construction (Le Havre)

Durant quatre étés, entre 1862 et 1865, Johan Barthold Jongkind sillonne les côtes normandes en compagnie de Joséphine Fesser, peintre elle aussi, qui depuis 1860 a pris en main ses intérêts et son bien-être. Leur quatrième et dernier séjour en Normandie, du milieu du mois d’août à la fin du mois de septembre 1865, les conduit de Rouen aux villes de la côte en remontant l’estuaire de la Seine. De là, ils rejoignent Honfleur, Le Havre, poussent jusqu’à Étretat au nord et Trouville au sud. C’est l’occasion pour Jongkind de retrouver ses amis, Claude Monet à Honfleur et Eugène Boudin à Trouville. Tous les jours ou presque, l’artiste brosse des aquarelles et des dessins au crayon graphite qu’il date et localise soigneusement, nous permettant ainsi de suivre ses déplacements. Le 1er septembre, il est au Havre, le lendemain à Étretat, le 5 et le 6 à Honfleur. Le 7 septembre, date de ce dessin, il séjourne à nouveau au Havre avant de revenir, dès le 10, à Honfleur. La mer, les grandes étendues de sable, la silhouette des falaises d’Étretat, l’animation des ports, semblent avoir retenu son attention, comme lors de ses précédents séjours. Pourtant, les dessins consacrés aux bateaux, barques échouées sur une plage, navires de commerce ou de pêche, grands voiliers lançant vers le ciel leurs mats et leur voilure, sont cette fois-ci plus nombreux. Jongkind, peintre de marines attentif aux moindres variations de l’atmosphère, sachant capter les délicates nuances des ciels chargés de nuages ou les tonalités de la mer, étudie minutieusement les navires qui sont, dans ses tableaux, plus que de simples silhouettes peuplant l’horizon. Il dessine précisément la forme de leur coque ou la silhouette de leurs gréements. Dans une lettre à Nadar du 22 août 1865, l’artiste évoque cet intérêt : « [Honfleur] est un petit port de mer où il y a toujours dix ou vingt navires de toutes nations, sans compter des bateaux marchands et de pêche du pays même. Je vous dis cela comme très intéressant pour mes études[1]. » Dans ce dessin, Jongkind s’intéresse au lancement d’un bateau en construction et pousse l’audace jusqu’à donner à la coque du navire une présence démesurée. Le décor – une plage, avec au fond une bande de mer – est réduit à sa plus simple expression. L’échelle de l’embarcation nous est donnée par la taille des humains qui tentent de la hisser vers l’eau, toutes petites silhouettes rapidement brossées au crayon, émergeant en réserve dans la bande de lavis brun. Les couleurs vives, le bleu et le jaune de la carène répondent aux teintes de la mer et du sable. Deux jours plus tôt, l’artiste observe la même scène pour un bateau de pêche, mis à l’eau à Honfleur. Mais les tonalités grises et le luxe de détails, la légende précisant que la marraine du navire est « Mademoiselle Marie Toutin » (sic) de la ferme Saint-Siméon[2], tranchent avec la simplicité et la franchise de tons de la feuille de Grenoble.
[1] Cité dans Victorine Hefting, Jongkind d’après sa correspondance, Utrecht, Haentjens Dekker & Gumbert, 1969, p. 157.
[2] André Delvau, dans Le Figaro du 8 janvier 1865, relate l’histoire de la ferme Saint-Siméon à Honfleur : « … La maison – la ferme – est au milieu de tout cela. Elle appartient à la veuve Toutain, une vaillante femme […]. Voilà une dizaine d’année que la ferme a changé de destination et est devenue l’hôtellerie de prédilection des artistes et des gens de lettres en quête d’oasis […]. Les chambres des locataires sont autant de musées. » C’est là que Jongkind retrouve Claude Monet, Alexandre Dubourg, Frédéric Bazille et Eugène Boudin. On y croise aussi Jean Achard.
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