Etude pour un saint Michel terrassant les démons

Cristoforo RONCALLI dit IL POMARANCIO
vers 1603
Sanguine, mise au carreau sur-jacente partielle à la sanguine, triple trait d'encadrement à la sanguine, sur papier vergé crème collé en plein sur montage ancien
15,2 x 11,2 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1914 (lot 2942).

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Ce dessin prépare un tableau de Cristoforo Roncalli aujourd’hui disparu, qui était placé sur l’autel de la chapelle Rucellai (maintenant Ruspoli), dans l’église romaine de S. Andrea della Valle. Le sujet représenté, Saint Michel terrassant les démons, lui avait été commandé par un patricien florentin établi à Rome, Orazio Rucellai. L’œuvre fut certainement installée à la fin de l’année 1605, date à laquelle les travaux architecturaux de la chapelle, débutés en 1603, sont terminés. Une gravure datée de 1618 permet de connaître la composition finalement élaborée par Roncalli[1].
Trois autres dessins appartenant au dossier génétique de cette œuvre sont répertoriés. Tous trois sont conservés aux Offices[2] et préparent la figure de l’archange pour le premier dessin, et pour les deux suivants, celle du démon placé légèrement en retrait, à main droite, par rapport à celui occupant l’espace central. Le caractère schématique du dessin grenoblois fait dire qu’il s’agit très certainement d’une première pensée, ou du moins d’une primo-étude de composition, alors que les dessins des Offices sont déjà des études de figures, rentrant dans un niveau de recherche plus avancé. L’appartenance de ce dessin aux tout premiers stades de la mise en place des idées est donc précieuse car il documente un état intermédiaire de recherche, faisant appel à des procédés heuristiques particuliers. Si l’on regarde attentivement la graticulation, on remarquera que celle-ci, sur-jacente, est partielle. Elle ne concerne en effet que la figure de saint Michel, laissant la partie inférieure de la composition vierge de tout carroyage. Cette différence présuppose que Roncalli avait pour intention de suspendre (provisoirement ou non) le caractère opératoire de la disposition choisie pour la figure du démon central. Il ne conserve dans le processus de report, programmé par la mise au carreau, que celle de l’archange. Et effectivement, si l’on compare les positions respectives du saint et du démon dans la gravure, seule celle de l’archange a été reprise, pour laquelle existe une étude détaillée sur l’un des dessins des Offices. Une hypothèse peut être émise pour expliquer cette désactivation partielle de la disposition. Si on compare le détail de la pose du démon, telle qu’elle apparaît dans le dessin de Grenoble, avec deux autres tableaux de Roncalli peints à quelques années d’intervalle, on s’apercevra que la pose choisie est pratiquement la même. Roncalli a tout simplement repris une formule qui appartenait à l’origine à un autre dossier génétique. C’est ce que l’on pourrait appeler, en terme de traitement de texte, un « copier-coller », ou plus simplement une sorte de glissement et de transfert d’un dossier à un autre. Ces deux tableaux représentent pourtant des sujets différents puisque le premier, réalisé entre 1599 et 1604 pour la basilique Saint-Pierre du Vatican, met en scène la Mort d’Ananie et de Saphire et le second peint pour l’église romaine de S.Giacomo in Augusta (ou degli Incurabili) et terminé en 1603, la Résurrection. Mais si les trois sujets ordonnés par Roncalli réclament des dispositifs d’ensemble différents, certains détails que l’on pourrait appeler des sous-dispositifs ciblés nécessitent des configurations semblables. Ces dernières peuvent être réutilisées dans un tout autre contexte iconographique. Dans le tableau peint pour Saint-Pierre, il s’agit de la figure d’Ananie, représentée en train de mourir, et dans celui mettant en scène la Résurrection, de la figure d’un soldat tombé à terre – c’est d’ailleurs cette figure qui est la plus proche de celle que l’on voit sur le dessin. Il est vraisemblable de penser qu’en 1603, lorsque Roncalli commença à réfléchir à la disposition de son saint Michel terrassant les démons, l’articulation des figures entre elles était le point sur lequel il fallait fournir une ou plusieurs propositions d’ensemble cohérentes. Pour faciliter ce travail, le peintre s’est servi de ressources existantes en puisant dans son répertoire des poses d’hommes terrassés. Un dessin conservé au Wallraf-Richartz-Museum de Cologne[3] étudiant de manière précise cette figure a pu servir de modèle. Dans un second temps, lorsque la jonction des groupes de figures lui parut satisfaisante, il mit de côté cette première proposition, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas (ou qu’il ne voulait pas) réutiliser dans un espace public une solution qu’il avait déjà proposée. La reprise de ce modèle était tout simplement un repère de mise en place dont la conservation était déjà pensée, peut-être dès le départ, de manière temporaire. En fin de compte, il choisit une formule dispositionnelle associant diverses figures renversées entourées de serpents, formule qu’il avait déjà expérimentée, de manière toutefois partielle, pour l’étude du même tableau représentant la Résurrection, comme l’atteste un dessin conservé à la Farnesina[4], vraisemblablement une primo-étude de composition. Mais à la différence du dessin grenoblois, cette étude est entièrement mise au carreau, ce qui pourrait signifier qu’à l’origine, Roncalli comptait transférer telle quelle cette disposition. En fait, il la transféra, du moins pour les deux figures du bas, dans le tableau de S. Andrea della Valle et non dans celui de S. Giacomo degli Incurabili. Ce jeu d’échanges et de transfert intergénétique montre que Roncalli utilisait ses dessins comme des ressources qu’il exploitait en fonction de ses besoins.
En même temps, en modifiant sensiblement l’attitude du démon, Roncalli changeait de référence hypericonique : si dans la figure de l’homme jeté à terre, utilisée dans le tableau de la Résurrection, il était possible de lire en filigrane, comme cela a été noté à plusieurs reprises, le modèle caravagesque de l’homme se protégeant de la lumière, en l’occurrence saint Paul, aveuglé par l’apparition tout en lumière du Christ, peint dans le tableau de la chapelle Cerasi, dans la nouvelle proposition, se dessine, en revanche, la figure du Laocoon étouffé par un serpent du Belvédère. Roncalli, comme nombre de ses pairs (et ce jusqu’au XIXe siècle), ordonne les attitudes de ses figures en fonction de modèles canoniques auxquels sont associées des idées types.


[1] Philippe Thomassin, Saint Michel terrassant le dragon, d'après Cristoforo Roncalli, gravure, Rome, Istituto nazionale per la Grafica, inv. FC 68 450.
[2] Inv. 10016, 10121 F, 10148 F.
[3] Inv. WEM/Z 1983.
[4] Inv. n. 2567.

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