Etude pour un saint Michel terrassant les démons

Ce dessin prépare un tableau de Cristoforo
Roncalli aujourd’hui disparu, qui était placé sur
l’autel de la chapelle Rucellai (maintenant
Ruspoli), dans l’église romaine de S. Andrea
della Valle. Le sujet représenté, Saint Michel
terrassant les démons, lui avait été commandé
par un patricien florentin établi à Rome, Orazio
Rucellai. L’œuvre fut certainement installée à la
fin de l’année 1605, date à laquelle les travaux
architecturaux de la chapelle, débutés en 1603,
sont terminés. Une gravure datée de 1618 permet de connaître la composition
finalement élaborée par Roncalli[1].
Trois autres dessins appartenant au dossier
génétique de cette œuvre sont répertoriés. Tous
trois sont conservés aux Offices[2] et préparent la
figure de l’archange pour le premier dessin, et
pour les deux suivants, celle du démon placé
légèrement en retrait, à main droite, par rapport
à celui occupant l’espace central. Le caractère
schématique du dessin grenoblois fait dire qu’il
s’agit très certainement d’une première pensée,
ou du moins d’une primo-étude de composition,
alors que les dessins des Offices sont déjà
des études de figures, rentrant dans un niveau
de recherche plus avancé. L’appartenance de ce
dessin aux tout premiers stades de la mise en
place des idées est donc précieuse car il
documente un état intermédiaire de recherche,
faisant appel à des procédés heuristiques particuliers.
Si l’on regarde attentivement la graticulation,
on remarquera que celle-ci, sur-jacente,
est partielle. Elle ne concerne en effet que la
figure de saint Michel, laissant la partie
inférieure de la composition vierge de tout
carroyage. Cette différence présuppose que
Roncalli avait pour intention de suspendre
(provisoirement ou non) le caractère opératoire
de la disposition choisie pour la figure du
démon central. Il ne conserve dans le processus
de report, programmé par la mise au carreau,
que celle de l’archange. Et effectivement, si l’on
compare les positions respectives du saint et du
démon dans la gravure, seule celle de l’archange
a été reprise, pour laquelle existe une étude
détaillée sur l’un des dessins des Offices. Une
hypothèse peut être émise pour expliquer cette
désactivation partielle de la disposition. Si on
compare le détail de la pose du démon, telle
qu’elle apparaît dans le dessin de Grenoble, avec
deux autres tableaux de Roncalli peints à
quelques années d’intervalle, on s’apercevra que
la pose choisie est pratiquement la même.
Roncalli a tout simplement repris une formule
qui appartenait à l’origine à un autre dossier
génétique. C’est ce que l’on pourrait appeler, en
terme de traitement de texte, un « copier-coller
», ou plus simplement une sorte de glissement
et de transfert d’un dossier à un autre.
Ces deux tableaux représentent pourtant des
sujets différents puisque le premier, réalisé
entre 1599 et 1604 pour la basilique Saint-Pierre
du Vatican, met en scène la Mort d’Ananie et de
Saphire et le second peint pour l’église romaine
de S.Giacomo in Augusta (ou degli Incurabili)
et terminé en 1603, la Résurrection. Mais si les
trois sujets ordonnés par Roncalli réclament des
dispositifs d’ensemble différents, certains détails
que l’on pourrait appeler des sous-dispositifs
ciblés nécessitent des configurations semblables.
Ces dernières peuvent être réutilisées dans un
tout autre contexte iconographique. Dans le
tableau peint pour Saint-Pierre, il s’agit de la
figure d’Ananie, représentée en train de mourir,
et dans celui mettant en scène la Résurrection,
de la figure d’un soldat tombé à terre – c’est
d’ailleurs cette figure qui est la plus proche de
celle que l’on voit sur le dessin. Il est vraisemblable
de penser qu’en 1603, lorsque Roncalli
commença à réfléchir à la disposition de son
saint Michel terrassant les démons, l’articulation
des figures entre elles était le point sur
lequel il fallait fournir une ou plusieurs propositions
d’ensemble cohérentes. Pour faciliter ce
travail, le peintre s’est servi de ressources
existantes en puisant dans son répertoire des
poses d’hommes terrassés. Un dessin conservé
au Wallraf-Richartz-Museum de Cologne[3] étudiant de manière précise cette figure
a pu servir de modèle. Dans un second temps,
lorsque la jonction des groupes de figures lui
parut satisfaisante, il mit de côté cette première
proposition, tout simplement parce qu’il ne
pouvait pas (ou qu’il ne voulait pas) réutiliser
dans un espace public une solution qu’il avait
déjà proposée. La reprise de ce modèle était tout
simplement un repère de mise en place dont la
conservation était déjà pensée, peut-être dès le
départ, de manière temporaire. En fin de
compte, il choisit une formule dispositionnelle
associant diverses figures renversées entourées
de serpents, formule qu’il avait déjà expérimentée,
de manière toutefois partielle, pour
l’étude du même tableau représentant la Résurrection,
comme l’atteste un dessin conservé à la
Farnesina[4], vraisemblablement une primo-étude de composition. Mais à la différence du
dessin grenoblois, cette étude est entièrement
mise au carreau, ce qui pourrait signifier qu’à
l’origine, Roncalli comptait transférer telle
quelle cette disposition. En fait, il la transféra,
du moins pour les deux figures du bas, dans le
tableau de S. Andrea della Valle et non dans
celui de S. Giacomo degli Incurabili. Ce jeu
d’échanges et de transfert intergénétique
montre que Roncalli utilisait ses dessins
comme des ressources qu’il exploitait en
fonction de ses besoins.
En même temps, en modifiant sensiblement
l’attitude du démon, Roncalli changeait de
référence hypericonique : si dans la figure de
l’homme jeté à terre, utilisée dans le tableau de
la Résurrection, il était possible de lire en
filigrane, comme cela a été noté à plusieurs
reprises, le modèle caravagesque de l’homme se
protégeant de la lumière, en l’occurrence saint
Paul, aveuglé par l’apparition tout en lumière
du Christ, peint dans le tableau de la chapelle
Cerasi, dans la nouvelle proposition, se dessine,
en revanche, la figure du Laocoon étouffé par
un serpent du Belvédère. Roncalli, comme
nombre de ses pairs (et ce jusqu’au XIXe siècle),
ordonne les attitudes de ses figures en fonction
de modèles canoniques auxquels sont associées
des idées types.
[1] Philippe Thomassin, Saint Michel terrassant le dragon, d'après Cristoforo Roncalli, gravure, Rome, Istituto nazionale per la Grafica, inv. FC 68 450.
[2] Inv. 10016, 10121 F, 10148 F.
[3] Inv. WEM/Z 1983.
[4] Inv. n. 2567.
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