Espagnol

Joseph-Auguste ROUSSELIN
1885
32 x 24,5 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de M. Henri Vallier, gendre de l'artiste, en 1916

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Ami d’Édouard Manet, rencontré dans l’atelier de Thomas Couture, Joseph Auguste Rousselin est surtout connu pour avoir figuré dans le tableau que celui-ci réalise à Boulogne durant l’été 1868 et intitulé Le Déjeuner[1]. Rousselin est le personnage à l’extrémité droite de la composition, attablé dans l’ombre, fumant le cigare. Il fréquente un temps l’atelier de Gleyre et se lie d’amitié avec Renoir et Sisley. C’est sur son invitation que ses deux amis exposent au Salon de la Société des amis des arts de Pau, région où Rousselin a des attaches familiales. Il passe les dernières années de sa vie à Grenoble, gratifiant le musée du don en 1901 d’un tableau de Sisley, Vue de Montmartre, depuis la Cité des fleurs aux Batignolles [2]. Malgré sa proximité avec le groupe des impressionnistes, Rousselin n’en reste pas moins attaché dans sa peinture à une certaine forme d’académisme, ce qui fera dire à Degas dans ses Carnets, à propos d’un autre peintre : « Bouguereau finira par l’élever dans sa nacelle. Comme Rousselin, vous verrez »[3]. Les toiles qu’il expose au Salon à partir de 1863, portraits et scènes de genre, relèvent d’un réalisme tardif, servi par un dessin sûr et une gamme colorée d’une grande franchise. Il excelle dans la peinture animalière, en particulier dans la représentation des chevaux. Le musée de Grenoble possède ainsi un Percheron dans une écurie, donné par son gendre Henri Vallier en 1916, en même temps que trois dessins : Jument et poulain , Jeune Cerf et biche[4] et cette belle étude d’Espagnol. Cette dernière feuille est préparatoire au tableau Marché aux mules à Pau, que l’artiste présente au Salon de 1885. Une esquisse, présentant peu de différence avec la composition finale, est conservée au Musée pyrénéen de Lourdes. Ce dessin très abouti montre le jeune Espagnol qui s’apprête à acheter un poulain, à droite du tableau. Cette foire aux mules avait lieu chaque année au mois de novembre, à la « Haute Plante », ancien nom de la place de Verdun à Pau. Comme nous le relate le Journal d’agriculture pratique et de jardinage en 1845 : « La grande foire de Saint-Martin, à Pau, a duré huit jours ; les Espagnols sont venus comme à l’ordinaire acheter des mules ; celles de six mois étaient préférées par eux ; celles de trois mois au contraire, étaient délaissées[5]. » Le dessin, précis, s’attache à la description du costume de ce maquignon de l’autre versant de la frontière, avec sa calotte, son petit gilet, son pantalon bouffant, ses guêtres et son bâton qui ressemble au makila, emblème du pays basque (bâton de marche doublé d’une lame dissimulée dans le pommeau). L’artiste annote scrupuleusement les dimensions de la figure, ajoutant des indications de position pour chaque partie du corps. Quelques rehauts de craie blanche viennent souligner les volumes. Ce souci ethnographique dans l’étude donne à la peinture une grande vérité, une impression de scène saisie sur le vif. Pourtant, l’arrière-plan présente quelques arrangements avec la réalité. En effet, le décor, qui donne à voir le donjon et la tour du Parlement de Navarre, est fantaisiste et impossible à embrasser dans une même vue depuis cette place.


[1] Édouard Manet, Le Déjeuner (dit dans l’atelier), 1868, Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen.
[2] Alfred Sisley, Vue de Montmartre, depuis la Cité des fleurs aux Batignolles, 1869. MG 1317.
[3] Carnets de Degas, lettre à Rouart, 1884. Dans les carnets de Degas, le nom de Rousselin apparaît la première fois en 1870.
[4] Jument et poulain, MG 2052, Jeune cerf et biche, MG 2054. Un troisième dessin, Trois Boeufs (attelage béarnais) (MG 2017-0-23), entré sans attribution, doit être rendu à Rousselin et provient très probablement du même don en 1916.
[5] Journal d’agriculture pratique et de jardinage publié par les rédacteurs de la maison rustique du XIXe siècle, sous la direction de M. Alexandre Bixio, 2e série, t. III, juillet 1845 à juin 1846, Paris, 1846, p. 286.

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