Clair de lune en forêt

Louis VAGNAT
1864
29,3 x 38,2 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Mode et date d'entrée inconnus (probablement collection Mesnard)

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Louis Vagnat, élève du paysagiste grenoblois Théodore Ravanat, se montre dans ses peintures très attentif aux caractéristiques des sites représentés, qu’il baigne d’une lumière réaliste, observée sur le motif, et localise précisément. Les titres de ses tableaux, réalisés pour le Salon (Grenoble entre 1870 et 1833, puis Paris en 1880), l’attestent[1] ainsi que le catalogue dressé en 1886 lors de la vente après décès[2]. On trouve là des vues pittoresques du Dauphiné, Grenoble, Voreppe, Sassenage, Crémieu ou Pont-en-Royans, mais aussi de Bretagne ou de Normandie, rapportés lors de voyages. Les quelques dessins de sa main que conserve le musée de Grenoble montrent cette même attention à la précision géographique des lieux comme dans Pont-en-Royans ou le Pont de la Rolandière à Sassenage (MG 2017-0-29). Souvent, comme ici « Mai 1864 », une datation accompagne le dessin. Cette feuille mystérieuse, à la poésie toute romantique, échappe à cette règle. En effet, Vagnat ne cherche pas à décrire avec force détails un paysage particulier, mais bien à nous communiquer la magie d’un clair de lune, perçant à travers les branches d’un conifère aux formes tourmentées. Usant avec subtilité de toutes les nuances du noir et du gris, l’artiste campe en peu de traits la structure de son paysage : le tronc des épicéas, l’attache des branches et la forme des rochers. Tout le reste n’est qu’un jeu d’ombres, de la plus claire à la plus foncée, une gamme de valeurs qui parvient à traduire la transparence du ciel, la silhouette fantomatique des sapins dans le lointain et la profondeur du ruisseau serpentant entre les roches. Quelques touches d’un blanc presque cru matérialisent le cercle parfait de la lune et son reflet sur le bord du rocher et la surface de l’eau. Ce coin de forêt sauvage, où les arbres semblent animés d’une force intérieure, où les eaux abritent une vie souterraine, met l’homme en contact avec une dimension supérieure de la réalité. Ce sentiment de la nature – sombre, mystérieuse et fantastique– , tel que l’exprime le jeune Vagnat, alors âgé de 23 ans, n’est guère éloigné de celui qui se dégage des paysages pittoresques de Gustave Doré . « Ici, nous passons toutes nos heures en face du plus magique et grandiose spectacle qu’il soit donné de contempler […] C’est le tableau de l’infini » écrivait ce dernier face aux montagnes suisses. En même temps que Gustave Doré, Vagnat se montre ici très proche du peintre suisse Alexandre Calame, en particulier dans un dessin de 1847, intitulé An Ancient Pine Forest with a Mountain Stream, conservé à la National Gallery of Art, à Washington[3]. On y retrouve le même cadrage serré, des rochers aux arêtes brisées, une trouée lumineuse entre les branches des épicéas, aux allures de bras tombant et animés d’une vie propre. Une autre source pour ce paysage pittoresque est à chercher dans les œuvres du lithographe grenoblois Victor Cassien, réalisées pour l’Album du Dauphiné paru en 1835-1839[4] mais aussi dans ses peintures et dessins[5]. Ses torrents de montagne, ses sapins dressés vers le ciel, ses montagnes impressionnantes témoignent d’un même talent pour exprimer l’émotion d’un paysage, et distillent une vision romanesque de la nature, grandiose, rendant l’homme à sa juste condition, celle d’un être minuscule dominé par les éléments. En 1864, date à laquelle Vagnat réalise ce dessin, celui-ci est encore à la recherche de son style et forme son regard en puisant dans l’univers artistique de ses ainés ou dans les publications pittoresques, comme dans sa vue de _La Bourne à Pont-en-Royans _.


[1] Le musée de Grenoble conserve plusieurs peintures, outre Le Torrent du Bréda à Allevard (Salon de Paris, 1880, MG 735) : Bords du Rhône près de la grotte de la Balme, 1884 (MG IS 74-3), Chemin des Cuves à Sassenage (MG IS 86-61) et Le Gave à Cauterets, Hautes Pyrénées (MG IS 74-9).
[2] Catalogue des œuvres de Louis Vagnat, artiste peintre, vente après décès […], mars 1896, Grenoble, 1896, section « Peintures », n° 1 à 82.
[3] Alexandre Calame, An Ancient Pine Forest with a Mountain Stream (Une ancienne forêt de pins avec un torrent de montagne), Inv. 1999.126.1.
[4] Album du Dauphiné, Grenoble, t. III, 1837, pl. 98, La cascade des Fréaux, lith. par Victor Cassien.
[5] Victor Cassien, En Chartreuse, huile sur toile, Collection particulière.

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