Portrait-charge

Alexandre Dupendant, caricaturiste et illustrateur satirique, a laissé peu de traces dans les mémoires de son temps. Le seul texte ancien évoquant son travail est un entrefilet dans la Revue biblio-iconographique de 1896[1], rédigé à l’occasion de l’acquisition par le musée Carnavalet d’une série de cinquante-deux aquarelles des figures de la Commune[2]. L’auteur, anonyme, met en lumière quelques caractéristiques de l’art de Dupendant sans toutefois nous renseigner sur sa biographie, ni évoquer sa formation ou tracer les grandes lignes de sa carrière : « Le peintre Dupendant est une curieuse physionomie d’artiste bohème. Plein de talent naturel, bien qu’il ignorât résolument les principes du dessin, il rachetait cette ignorance par un don étonnant de la couleur et une science innée de la composition, véritablement extraordinaire. Mais Dupendant avait surtout la spécialité de l’aquarelle et de la gouache. Il fabriquait à la grosse avec une incroyable vélocité[3]. » Des aquarelles et des ouvrages illustrés de sa main figurent dans quelques collections publiques. Le Palais des beaux-arts de Lille conserve trois portraits-charge : un homme de loi, un ecclésiastique et enfin, l’avocat et homme politique Jules Favre[4]. Le musée Hyacinthe-Rigaud est riche de quatre aquarelles représentant des soldats, un marchand de coco ainsi qu’un paysage[5]. Il existe aussi cinq dessins à l’École nationale des beaux-arts, montrant surtout des soldats (zouave, turco, officier d’infanterie, etc.)[6]. C’est au musée Carnavalet qu’il est le mieux représenté avec plusieurs recueils de gravures satiriques, deux portraits-charge et quatre aquarelles commémorant des épisodes de la Commune[7]. Enfin, grâce aux très nombreuses feuilles de cet artiste passées en vente ces dernières années, il est possible de se faire une idée de sa production. Si la caricature politique domine dans son œuvre, on y trouve aussi des épisodes de la guerre franco-allemande de 1870, des paysages un peu naïfs ou encore des costumes de théâtre. Ce très beau portrait-charge à l’aquarelle est entré au musée de Grenoble grâce au legs de Léonce Mesnard en 1890, en même temps qu’une autre feuille de l’artiste (MG D 1066 ). S’il n’a pas été possible d’identifier les modèles, il est cependant probable que ces dessins aient été faits vers 1870-1871, date à laquelle Dupendant semble avoir été particulièrement actif. Leur technique est assez différente et montre deux facettes de son talent de caricaturiste. Le premier portrait, plus fouillé, place la charge satirique dans l’accentuation des traits du modèle – pommettes et nez luisants, sourcils broussailleux et bouche épaisse –, soulignant l’arrogance du notable, engoncé dans son habit. Le second, d’une facture plus lâchée, rapide, croque le profil d’un homme au front bas, au nez écrasé et à la moustache fournie. S’agit-il d’hommes politiques, de députés ou d’autres figures publiques ? Très probablement, car l’artiste semble avoir particulièrement prisé, comme victimes de ses portraits-charge, les figures de la scène politique de son temps qu’il réunit en recueils, à l’image de l’album vendu en 1888 à Paris, montrant Clemenceau, Gambetta, Bismarck, Guillaume II ou encore Thiers[8]. Évoquant le décès de l’artiste, le rédacteur anonyme de la Revue biblio-iconographique de 1896 ajoute avec un certain humour : « Paris a perdu son meilleur coloriste pour “Menus” de dîners, depuis que Dupendant a franchi la sombre rive. Il est mort, il y a quelques années, de chagrin[9]. »
[1] « Chronique de l’image. Acquisitions du musée Carnavalet », Revue biblio-iconographique, 3e année, 2e série, t. I, n° 20, 29 février 1896 (réd. en chef Pierre Dauze), Paris, 1896, p. 317.
[2] L’auteur signale que « ce qui ajoute à la valeur de cette collection, c’est que, en regard du portrait-charge, se trouve la photographie du communard caricaturé ». Ce portfolio est cité et décrit précisément dans l’ouvrage de Charles Chintrolle, Les Survivants de la Commune, Paris, 1885, p. 320, comme faisant partie de la collection de M. de Liesville, léguée à la Ville de Paris en 1884. On y trouve les photos et portraits-charge de Bergeret, Assi, « Courbet sur la colonne en Empereur romain », etc. Recueil d’aquarelles : caricatures d’hommes et de femmes de la commune (1871). Actuellement conservé à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris sous le titre Recueil d’aquarelles : caricatures d’hommes et de femmes de la Commune (1871), cote : 2-RES-098.
[3] Revue biblio-iconographique, op. cit., p. 317.
[4] W.4339 à 41.
[5] 880.14.19 à 22.
[6] EBA 884 à 888.
[7] Voir le détail sur le site des collections de la Ville de Paris : http://parismuseescollections.paris.fr.
[8] « n° 140, Aquarelles politiques, par Dupendant, 43 portraits réunis en 1 vol. in-4, cart. », in Catalogue de Livres, journaux […] sur la guerre franco-allemande de 1870-1871 et la Commune de Paris […], vente du 2 février 1888, Paris, 1888, p. 16.
[9] Revue biblio-iconographique, op. cit., p. 317.
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