Négatif-Positif
[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]
Né en 1907 à Milan, Bruno Munari est un artiste au parcours singulier – peintre, sculpteur et designer –, dont l’oeuvre trahit des influences en réalité multiples, comme le dadaïsme, le cinétisme et l’art abstrait. Sa curiosité et son tempérament de pionnier le conduisent d’abord à s’associer aux futuristes. Marinetti invite Munari à participer en 1927 aux manifestations des tenants du second futurisme à Milan. Leurs recherches sur le mouvement devaient l’inspirer tout au long de sa carrière. Munari expose à leurs côtés jusqu’au milieu des années trente, notamment dans les expositions Trentatré futuristi, (Galleria Pesaro, Milan, 1929), Peintres futuristes italiens (23 Galerie 23, Paris, 1929), Mostra futurista di aeropittura e di scenografia* (Galleria Pesaro, Milan, 1931) et enfin Enrico Prampolini et les aéropeintres italiens (Galerie de La Renaissance, Paris, 1932). En 1928, l’artiste signe, avec Aligi Sassu, le manifeste Dynamisme et réforme musculaire*. Pour la première fois, sont exposées à Milan, en 1933, ses réalisations cinétiques évoquant les mobiles d’Alexander Calder, et ses Machines inutiles, expérimentations formelles, imitant parfois le chant des oiseaux. D’une curiosité intarissable, séduit par les travaux de Man Ray et de Làszló Moholy-Nagy, Munari s’intéresse aussi aux possibilités offertes par le photogramme. Rédigé en 1952, son Manifeste du machinisme inspira enfin Jean Tinguely.
C’est en 1933 que Munari s’adonne à ses premières peintures abstraites. Fruits de recherches sur l’espace intérieur et extérieur, elles mettent en exergue l’ambiguïté de la perception visuelle. En 1948, l’artiste fonde, avec Gianni Monnet, Gillo Dorfles et Atanasio Soldati, le groupe milanais Movimento Arte Concreta (MAC). C’est en 1951 que naît la série des Négatifs-Positifs [Negativi-Positivi], faits d’éléments géométriques en apparence mouvants évoluant dans un cadre sans fond. « Dans le dessin traditionnel, la ligne est le contour d’une figure (la forme du fond n’existe pas en tant que telle). La ligne dans les Négatifs-Positifs est présente des deux côtés, c’est une frontière entre les formes, c’est une frontière entre le fond et la figure ; laquelle des formes est la figure ? Laquelle le fond ? » écrit l’artiste. Dans la peinture du musée, la forme géométrique noire qui se détache sur un fond blanc joue de cette même illusion. Par sa composition épurée fondée sur l’orthogonalité et ses couleurs élémentaires – dont le petit carré jaune qui apparaît comme un point lumineux – l’oeuvre répond surtout aux principes systématiques de l’art concret. Le panneau découpé annonce enfin les shaped canvas réalisés au début des années 1960 par les peintres américains comme Franck Stella.
Bruno Munari voulait démocratiser l’art abstrait, comme en témoignent ses productions hétéroclites : objets cinétiques ou livres illisibles, créations concavesconvexes ou positives-négatives, sculptures de voyage ou fontaines mobiles. Ses recherches l’orientent vers le jeu et les avant-gardes du tout début du XXe siècle. L’artiste écrit plus de soixante-dix ouvrages, ne cessant d’expérimenter dans le domaine du livre-objet comme du livre pour enfant. Il fut l’un des designers historiques les plus importants en Italie, cherchant à vulgariser les trouvailles de l’art cinétique. On lui doit le Cendrier cube fabriqué par Danese, des machines à café et des télévisions qui appartiennent aujourd’hui aux classiques du design. On a certainement sous-estimé, dans l’art du XXe siècle, le caractère pionnier de Munari, créateur hors pair, professeur de design à l’Université de Harvard, inventeur d’une oeuvre « ouverte », impliquant le spectateur et annonçant bien des développements ultérieurs de l’art contemporain.
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