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Originaire de Picardie, Anatole Vély entre à l’École des beaux-arts à Paris dans l’atelier du peintre d’histoire Émile Signol. S’il échoue au concours du Prix de Rome, il n’en est pas moins présent régulièrement au Salon à partir de 1866, avec des tableaux dont les sujets, souvent empruntés à la sphère littéraire ou légendaire, sont surtout prétexte à glorifier l’élégance de la femme. Plongées dans un passé historique qui n’a rien d’archéologique, ces femmes – Lucie de Lammermoor [1] ou la jeune princesse du Cœur s’éveille[2], émue à la lecture d’un roman de chevalerie – sont, comme le souligne Abel Patoux, dans l’article qu’il consacre à l’artiste, « d’ingénieuses incarnations de la belle châtelaine apparue à Vély aux créneaux des châteaux historiques de la Loire »[3]. En effet, les châteaux de Blois, Chambord, Ambroise et Chenonceau, qu’il découvre lors d’un voyage en 1868, avec leurs escaliers secrets et leurs oubliettes à l’atmosphère mystérieuse, vont nourrir cette âme romantique et lui fournir le décor dans lequel évoluent ses héroïnes. Le grand dessin du musée de Grenoble prépare le tableau que l’artiste envoie au Salon de 1875, La Méditation[4], qui montre une jeune femme en costume d’inspiration Renaissance, délicatement installée sur une cathèdre médiévale. « Esprit, flamme, femme, perdus dans ce manoir, livrés à l’isolement, au danger, qui nous dira la chimère que vous poursuivez, l’idéal dont vous souhaitez la réalisation ? Est-ce le retour triomphant de l’époux ? Est-ce l’arrivée de l’amant ? », s’interroge Eugène Montrosier à son propos dans Les Artistes modernes en 1881[5]. L’allégorie reste toutefois bien légère et simple prétexte à l’évocation de la beauté féminine, parée de riches atours. De nombreuses différences existent entre le dessin et la peinture, en particulier en ce qui concerne la robe et la coiffure, qui se sont enrichies et complexifiées dans la version finale. Les costumes sont tous deux de fantaisie et évoquent l’univers du théâtre ou du bal costumé, les manches sont à gigots dans le dessin et à crevés dans la peinture, le corsage lacé sur le devant est de forme arrondie dans un cas, carrée dans l’autre, la jupe d’amazone à pli cousu semble comporter une châtelaine dans la première version, absente dans le tableau. Quant à la coiffure du modèle dessiné, elle est plus contemporaine et pourrait avoir été transformée pour lui donner une apparence historique[6]. La connotation Renaissance s’en trouve donc accentuée dans la peinture. Si le néo-renaissance est à l’honneur sous le Premier Empire, en 1830 ou dans les années 1890, il paraît quelque peu anachronique en 1875, date à laquelle Vély réalise son tableau. Le dessin du Couple, découvert au verso, n’a pu être mis en relation directe avec aucune des compositions connues de l’artiste. Il pourrait s’agir cependant d’une première idée pour Lucie de Lammermoor , montrant Lucie alanguie sur les genoux de son amant passionné Edgardo, avant que de fausses preuves de sa déloyauté ne l’en éloigne et qu’elle épouse contre son gré Arturo, le mari qu’elle assassinera au soir de ses noces. Ce dessin esquissé n’a pas le fini et la précision de La Méditation, visible au recto, mais bien la spontanéité de l’étude rapide, destinée à se préciser au fil du temps. Tout de courbes et de contre-courbes, c’est le corps de la femme qui, dans les deux cas, attire le regard. Abel Patoux résume ainsi l’art de Vély : « La beauté féminine, la femme, trouvait en lui un interprète enthousiaste, sensible à tout ce qui la fait aimer et désirer, tout pénétré et comme imprégné du charme magnétique qui s’en dégage, habile à dire l’élégance souveraine des lignes et des attitudes, la volupté des sourires, la toute-puissance des regards où les longs cils s’abaissent comme à regret pour voiler la flamme amoureuse[7]. »
[1] Anatole Vély, Lucie de Lammermoor, huile sur toile, 1874, musée des Beaux-Arts de Narbonne. Le tableau illustre le chapitre XIX du roman de Walter Scott, mettant en scène la jeune héroïne Lucy qui, contrainte au mariage, assassine son époux le soir de ses noces. Ce tableau valut à son auteur une médaille au Salon de 1874. Il est à noter que son maître Signol a consacré au sujet de La Folie de la fiancée de Lammermoor son tableau du Salon de 1850.
[2] Anatole Vély, Le Cœur s’éveille, huile sur toile, 1880, Lawrence Steigrad Fine Art. Ce tableau a été médaillé au Salon de 1880.
[3] Abel Patoux, « Anatole Vély », in Mémoires de la Société académique des sciences, art, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin, 4e série, t. XV, 1907, p. 66 à 91, cité p. 87.
[4] Anatole Vély, La Méditation, 1875, Salon de 1875, n°1933, vente Sotherby's, 23 novembre 2010.
[5] Eugène Montrosier, « Anatole Vély », in Les Artistes modernes, 1re partie « Les peintres de genre », t. 1, Paris, 1881, p. 2.
[6] Nous devons à Alexandra Bosc, conservatrice au musée Galliéra, ces précisions sur les costumes et la coiffure (entretien du 7 décembre 2016).
[7] Abel Patoux, op. cit., p. 79.
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