Vue de Béthanie

La dette d’Henry Daras envers Puvis de Chavannes se lit surtout dans ses compositions symbolistes, traitées dans une gamme chromatique assez proche de celle de son maître, en camaïeu de teintes pâles. À propos du Samson que Daras expose au Salon des Artistes français en 1882, Théodore Véron ne manque pas de remarquer : « L’aspect terne de ce tableau, que l’on dirait à la fresque, rappelle M. Puvis de Chavannes »[1]. Jusqu’à la mort de ce dernier en 1898, les deux hommes entretiendront des liens amicaux et une correspondance suivie. Daras apporte son aide à Puvis de Chavannes lorsque celui-ci travaille au Panthéon à partir de 1874 à la décoration de la_ Vie de sainte Geneviève_. Et c’est par son intermédiaire que le jeune homme obtient en 1878 la commande des peintures de la chapelle du Sacré-Cœur dans l’église de Saint-François-de-Salle à Paris. Si une même religiosité imprègne les œuvres des deux artistes, elle se manifeste chez Daras de manière presque exclusive et les sujets de ses tableaux, tirés de la Bible, suivent fidèlement le texte sacré. Profondément croyant, l’artiste entreprend en avril 1882 un voyage en Palestine, afin de s’imprégner du paysage qui a vu se dérouler les scènes de la vie de Jésus. Plus qu’un voyage d’agrément, cette expédition est avant tout un pèlerinage. Le périple, qui dure un mois et demi, est organisé par les Cercles catholiques ouvriers auxquels l’artiste appartient. Les lettres envoyées à ses parents permettent de se faire une idée de ce voyage qui marquera durablement Henry Daras. De Jaffa, le groupe composé de près de huit cents personnes (quatre cents ecclésiastiques et autant de laïcs), se rend ensuite à Haïfa, puis gagne Nazareth, Jérusalem, la mer Morte et enfin Hébron. Henry fait des dessins qu’il envoie, numérotés, à ses parents. « J’ai fait un bout d’aquarelle, je ne pourrai guère faire que des bouts », déplore l’artiste[2]. Cette belle vue de Béthanie[3] – un village à l’est de Jérusalem où se serait déroulé l’épisode de la résurrection de Lazare – est une de ces rares aquarelles rapportées par Daras. Le bourg médiéval en terrasses avec ses maisons blanchies à la chaux, environné d’oliviers et dominé par les ruines d’une fortification croisée, ne comptait à l’époque qu’une centaine d’habitants. Daras est ici très fidèle au site abritant le tombeau de Lazare, devenu lieu de pèlerinage. Il concentre ses effets sur la lumière crue, plongeant dans une ombre violette les murs blanchis des rares habitations. Épurée, synthétique, cette aquarelle ne retient du paysage que les éléments essentiels, la silhouette fantomatique des ruines du fortin, si caractéristiques du village, la masse verte des oliviers, la pente de la colline suggérée par l’étagement des maisons, imbriquées les unes dans les autres. Cette feuille, appartenant à Léonce Menard, est entrée dans sa collection très tôt, avant 1890, date de sa mort. Elle figurait encore dans la chambre de Madame Menard en 1914, au moment de son entrée au musée.
[1] Théodore Véron, 8ème annuaire, Dictionnaire Véron ou Organe de l’Institut Universel des Sciences, des Lettres et des Arts du XIXe siècle (Section des Beaux-Arts), Salon de 1882, Paris-Poitiers, 1882, p.147
[2] Lettre d’Henry Daras à ses parents, Haïfa, mai 1882. Citée dans une biographie d’Henry Daras inédite et communiquée par la famille.
[3] Aujourd’hui Al-Eizariya.
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