Torse de femme vue de dos

Élève de Charles Gleyre et Léon Gérôme, Jean Jules Antoine Lecomte du Nouÿ incarne magistralement l’art académique, érudit et brillant, qui fleurit sur les cimaises du Salon dans la seconde moitié du XIXe siècle. Bien éloigné des audaces des impressionnistes, l’artiste affectionne particulièrement les compositions historiques monumentales, traitées dans une touche lisse, presque photographique, qui tirent leurs sujets de l’Antiquité gréco-romaine et s’appuient sur une science solide du dessin. Mais on lui doit aussi des tableaux orientalistes – chef arabe ou eunuque endormis dans les vapeurs d’un narghilé ou pharaon entouré des femmes de son harem – inspirés de son voyage en Égypte en 1872. Nombre de ces scènes sont surtout prétexte à la représentation de nus féminins aux poses lascives et dont l’anatomie n’a plus rien à voir avec les canons de la statuaire antique. La plus célèbre d’entre elles est bien sûr L’Esclave blanche que l’artiste présente au Salon de 1888[1]. La scène est assez proche des compositions de son maître Gérôme, montrant des femmes au bain dans le secret du harem. Le dessin de Grenoble, un torse de femme réalisé d’après le modèle vivant, présente de nombreuses analogies avec la figure de L’Esclave. On y retrouve le même modelé pulpeux des chairs et la même courbe sinueuse du dos, allongé à l’extrême. Cette déformation anatomique n’est pas sans rappeler les baigneuses et odalisques d’Ingres dont l’artiste s’inspire visiblement. Le profil du modèle, laissé dans l’imprécision dans le dessin, présente une attache du cou et un menton identiques à ceux de L’Esclave. Le bras est aussi très proche et il pourrait s’agir du même modèle, même si cette feuille n’est pas directement préparatoire au tableau. La figure dessinée est debout quand l’esclave est assise dans une position improbable. Lecomte du Nouÿ est un dessinateur prolifique et la plus grande partie de son fonds d’atelier est maintenant conservé au musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac. Dans sa production, les belles feuilles abouties comme celle-ci, sur un papier chamois permettant la combinaison du fusain et de la craie blanche, ne sont pas si nombreuses. L’artiste excelle ici à rendre le volume des chairs, le délicat tracé des muscles sous la peau, le grain velouté de l’épiderme. Absent du catalogue raisonné établi par Roger Diederen, à l’occasion de l’exposition consacrée à Lecomte du Nouÿ qui s’est tenue à New York en 2004[2], ce dessin a été donné par l’artiste au musée de Grenoble en même temps que cinq autres feuilles . Lecomte du Nouÿ voulait par ce geste remercier le musée d’avoir accepté le don en 1891 de son imposant tableau _Homère mendiant _ , présenté au Salon de 1881.
[1] Jean Jules Antoine Lecomte de Nouÿ, L'Esclave blanche, 1888, Nantes, musée des Beaux-Arts.
[2] Roger Diederen, From Homer to the Harem, The Art of Lecomte du Nouÿ, New York, Dahesh Museum, 2004, catalogue raisonné of Works by Jean Lecomte du Nouÿ, p. 145 à 215.
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