Le Vaisseau fantôme

Henri FANTIN-LATOUR
1884
41,6 x 31,1 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don Victoria Fantin-Latour née Victoria Dubourg en 1904

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Wagnérien de la première heure, plus mélomane que musicien, Fantin s’initie à l’œuvre du compositeur allemand dès 1857-1858 par l’intermédiaire de son ami Otto Sholderer. Wagner est longtemps décrié sur la scène parisienne et rares sont les occasions d’entendre sa musique. Seul Jules Pasdeloup, fondateur des Concerts populaires en 1861, se risque à l’interpréter. Fantin, assidu à ses concerts, découvre ainsi Tannhäuser _ dès 1862. Mais c’est seulement en 1876, lors de son voyage à Bayreuth, que l’artiste prend pleinement la mesure de la modernité de cette musique qu’il qualifie d’art total : « Musique, situation dramatique, décors, mise en scène, costumes, effets féeriques, […] c’est complet[1]. » C’est avant tout à travers la lithographie que s’exprime son admiration, dans des planches d’une grande sensibilité où l’artiste tente de traduire ses émotions. Trente-sept œuvres, retravaillées, gommées et grattées sur la pierre, jouant des noirs et des blancs à la manière de notes, conservent ainsi intactes l’impression fugitive qui habite Fantin à l’audition de cette musique. Souvent, avant de se lancer sur la pierre lithographique, l’artiste éprouve le besoin d’ébaucher son idée dans de petites peintures à l’huile, simple pochades qui ne sont pas destinées à être montrées. Plus rarement, cette première pensée s’élabore en dessin, comme dans cette feuille préparatoire à la planche du _Vaisseau fantôme de 1884[2]. Les quelques traits de fusain rehaussés de craie blanche, jetés presque négligemment sur un papier chamois, campent les deux protagonistes de la scène finale de l’opéra, le Hollandais et Senta, transfigurés, prêts à quitter le navire pour s’élever vers la lumière. L’audace de cette feuille tient autant à son traitement qu’à son format imposant, rare dans sa production mais identique à l’estampe. Ni les visages, ni les corps n’ont de consistance, ils flottent dans l’espace, entre mer et ciel, vaguement reliés à la terre par le bordage du navire. Le mouvement ascendant, dynamique, est accentué par l’énergie du trait, rapide, sommaire, qui fait de Fantin un « moderne », en tout cas dans son œuvre graphique. La lithographie conserve, à un moindre degré, la dimension onirique et le flou vaporeux du dessin, même si l’artiste donne ici plus de corps à ses personnages et au décor qui les entoure. De cette légende d’un capitaine de navire hollandais, condamné à errer sur les mers après le naufrage de son bateau et racheté par l’amour de Senta, qui se jette à la mer, entraînant dans son sillage le vaisseau fantôme, l’artiste retient la scène finale, celle où les deux amants, s’élevant vers les cieux, sont enfin unis pour l’éternité. Madame Fantin, dans son catalogue de 1911, date le dessin de Grenoble de 1885, voyant en lui une feuille d’étude pour la troisième planche lithographique du Vaisseau (H.60), celle où le Hollandais a le bras levé. En fait, la position des deux personnages – le capitaine portant Senta dans ses bras, celle-ci désignant de la main droite la lumière divine – correspond bien à la première planche (H.53) et date donc de 1884.


[1] Lettre d’Henri Fantin-Latour à Otto Scholderer, 30 août 1876, publiée dans Correspondance entre Henri Fantin-Latour et Otto Scholderer, 1858-1902, Une amitié franco-allemande, Mathilde Ranoux, Thomas W. Gaethgens et Anne Tempelaere-Panzan (dir.), Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2011, p. 252.
[2] Henri Fantin-Latour, Le Vaisseau fantôme, 1884, (H.53), Paris, Bibliothèque nationale, cabinet des Estampes.

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