Tannhäuser-Venusberg
Si Fantin-Latour, originaire de Grenoble, est surtout connu et apprécié pour ses merveilleux bouquets de fleurs, il est aussi un portraitiste de talent, captant la psychologie de ses modèles avec une grande sobriété. Mais ce sont surtout ses portraits collectifs, et en particulier L’Atelier aux Batignolles de 1870, qui ont assuré sa notoriété en mettant en scène les futurs impressionnistes dont il ne partagera pourtant pas l’esthétique. On sait moins en revanche que Fantin est considéré par certains comme un des précurseurs du symbolisme. Ses œuvres d’inspiration musicale, hommages à Berlioz ou Wagner, font de lui un homme en avance sur son temps, plongé dans des féeries bien éloignées du réalisme de ses débuts. Tannhäuser , que prépare le dessin de Grenoble, est ainsi la première tentative de traduction en peinture des émotions ressenties par l’artiste à l’écoute de la musique de Wagner, dans une démarche proche de la théorie des correspondances chère à Baudelaire. Présentée au Salon en 1864, cette peinture vaut à son auteur au mieux l’indifférence, au pire, l’incompréhension. Il faut dire que Fantin présente la même année L’Hommage à Delacroix, sujet d’une polémique propre à éclipser son autre envoi. Seul Théophile Gautier apprécia Tannhäuser, estimant toutefois que cette œuvre n’était « guère qu’une esquisse fougueusement barbouillée, une chaude ébauche de palette, une suite de taches juxtaposées »[1]. Ultime étape d’un long processus de maturation ayant débuté en 1862 par la création d’une lithographie[2], ce grand dessin au fusain et au crayon Conté, mis au carreau, est assez rare dans la production graphique de l’artiste, plus riche en croquis et études de figures qu’en dessins d’ensemble. D’un trait vaporeux d’une grande liberté, Fantin fixe en grand format le schéma de composition, disposant ses personnages selon une diagonale ascendante : à gauche, Vénus s’appuie sur le corps de Tannhäuser, plongé dans l’ombre ; au centre, une nymphe joue de la flûte et à droite, les trois Grâces entament une danse échevelée. Cette ordonnance restera inchangée dans la peinture, à l’exception toutefois de la pose de Vénus au premier plan à gauche, véritable citation de la Vénus d’Urbino de Titien. La scène représentée, avec une grande économie de moyens – quelques traits cernant les corps féminins quand les visages sont à peine esquissés – appartient au tout début de l’opéra de Wagner : Tannhäuser est captif de Vénus dans la « grotte d’amour » située au cœur de la montagne, le Venusberg. La déesse, alanguie sur les genoux de son amant, est encore ignorante de la décision de ce dernier de la quitter, aspirant à un amour plus spirituel que profane. Si Fantin n’assiste pas à la représentation de Tannhäuser en 1861, il peut apprécier des extraits de cette œuvre musicale lors du concert donné par Pasdeloup l’année suivante. Pour nourrir son imagination, il puise dans le texte du livret et les descriptions de la mise en scène, tentant de traduire le romantisme exacerbé de cette musique moderne dans un langage graphique enlevé, où le paysage est évoqué par des zones d’ombre faites de fusain estompé. Fantin use alors de la réserve pour faire surgir de la vapeur la blancheur des corps dénudés. Dans cet univers éthéré, seul Tannhäuser est traité avec quelque densité de noir. L’œuvre finale conservera cette atmosphère féerique, combinant les références aux grands maîtres de la couleur, comme Titien et Véronèse, et son admiration pour Delacroix. Cette première œuvre d’imagination est longtemps considérée par Fantin comme « un malheureux essai, […] une erreur de jeunesse ». Ce n’est qu’après son voyage à Bayreuth en 1876 que l’artiste s’autorise à renouer avec l’univers wagnérien.
[1] Théophile Gautier, « Salon de 1864 (7ème article) », Moniteur universel, 17 juin 1864, p. 877.
[2] Tannhäuser-Venusberg (H.1) est la première lithographie réalisée en 1862 par Fantin à la demande de l’éditeur Cadart. Ce dernier avait confié des pierres lithographiques à plusieurs artistes pour qu’ils s’essayent à ce nouveau médium. Fantin, dans une démarche qui deviendra récurrente par la suite, fixe d’abord son sujet dans une esquisse très libre à la peinture à l’huile avant de se lancer dans la création de sa lithographie, tirée en un très petit nombre d’exemplaires. Entre 1862 et 1864, reprenant le même thème, Fantin multiplie les croquis (conservés au département des Arts graphiques du musée d’Orsay) où il étudie différentes dispositions des personnages dans l’espace.
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