Rinaldo
Daté du 24 décembre 1877, ce dessin de Rinaldo est, avec _Le Vaisseau fantôme _ , un des rares dessins préparatoires à une lithographie dans la production de Fantin, celui-ci préférant capter la fugacité d’une première pensée à travers une esquisse peinte. Le trait libre et enlevé, les noirs estompés et les blancs gommés, conservent ici intacte la magie fugace d’une vision, quand la lithographie, tirée l’année suivante (conservée à la Bibliothèque nationale, Paris) précise les détails à la manière d’une mise au point sur un appareil photographique. Émergeant du flou onirique, l’impression entre alors progressivement dans le réel. Charles Saunier, évoquant ce type de dessin préparatoire à la lithographie, n’hésite pas à faire remarquer que « le labeur original a sur les belles épreuves la supériorité d’un velouté, d’une accentuation que le tirage le plus artiste fait disparaître »[1]. Entre cette feuille très libre et l’estampe définitive, se situe un autre dessin plus abouti, de même taille, actuellement conservé au Rhode Island School of Design Museum (F.918) et daté de février 1878. Les groupes de personnages – Renaud et ses amis à gauche, prêts à monter à bord du navire, Armide émergeant telle une apparition baignée de lumière en haut à droite et enfin, le groupe des nymphes dans l’angle inférieur droit – y ont plus de consistance que dans la version de Grenoble, réalisée deux mois auparavant. Fantin interprète ici la cantate de Brahms, Rinaldo, écrite pour ténor, chorale de voix d’hommes et orchestre, retenant le moment où Renaud s’arrache à l’amour de la belle Armide, rappelé au devoir par les chevaliers chrétiens Charles et Ubaldo, ses compagnons d’armes. L’artiste est séduit aussi bien par le texte, emprunté à la Jérusalem délivrée du Tasse, que par la musique de Brahms, qu’il découvre dès la fin des années 1860. Dans une lettre à son ami Edwards de 1869, Fantin dit tout le bien qu’il pense « d’un élève de Schumann, Johannes Brahms, qui a un grand talent ». Il ajoute : « De tout ce que j’ai entendu de moderne, c’est ce qui m’a fait le plus d’impression[2]. » Comme pour Wagner et Schumann, mais dans une moindre mesure, cette admiration prendra la forme de plusieurs lithographies (sept planches dont trois consacrées à Rinaldo). Le thème de l’amour profane et de l’amour sacré, déjà présent dans _Tannhäuser _ , l’opposition entre les figures féminines, aux corps nus et diaphanes, et les personnages masculins, habillés et plongés dans l’obscurité, se retrouvent dans ce dessin de Rinaldo, comme dans beaucoup d’autres œuvres d’inspiration musicales de Fantin. Satisfait de sa lithographie[3], l’artiste, dans une démarche qui deviendra récurrente au fil du temps, la transforme aussitôt en pastel, présenté au Salon de 1878 (n° 2896, F.868), puis en peinture à l’huile.
[1] Charles Saunier, « Dessins de Fantin-Latour », La Revue blanche, t. XXVII, 1902, p. 63.
[2] Lettre de Fantin à Edwards, 14 septembre 1869, dans Copies de lettres d’Henri Fantin-Latour à ses parents et amis, Bibliothèque municipale de Grenoble, R.8867 Rés.
[3] Henri Fantin-Latour, Rinaldo, lithographie, 1878, (H. 19), Paris, Bibliothèque nationale, cabinet des Estampes.
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