Zouave mort dans une tranchée (épisode de La Prise de la tour de Malakoff par Mac Mahon)

Adolphe Yvon, élève de Paul Delaroche et grand admirateur d’Horace Vernet, est un des grands peintres officiels de batailles sous le Second Empire, admiré pour ses vastes machines commémoratives destinées à intégrer le musée de l’Histoire de France à Versailles après leur présentation au Salon. On lui doit en effet trois épisodes de la guerre en Crimée de 1855 – La Prise de la tour de Malakoff par Mac-Mahon , Combat dans la gorge de Malakoff et Le Général Bosquet blessé dans la courtine de Malakoff [1] –, ainsi que deux tableaux relatifs à la campagne d’Italie de 1859, Attaque du village de Magenta et Napoléon III donne ses ordres à la bataille de Solferino [2]. Soucieux de vérité historique, Adolphe Yvon se rend sur les champs de bataille afin de s’imprégner de la configuration des lieux, rencontre les protagonistes des combats – du général au simple soldat –, se documente sur le mouvement des troupes, les épisodes saillants et tente de donner à ses batailles l’illusion du reportage auquel il ajoute cependant une touche dramatique et héroïque. Chacune de ses grandes toiles est soigneusement préparée par des relevés de terrain, des croquis réalisés sur place, de nombreux dessins préparatoires et enfin d’une esquisse qui reçoit l’approbation de l’Empereur avant la réalisation de la toile finale. « Depuis le jour de l’assaut, rien n’avait été ni changé, ni déblayé. Je voyais donc le terrain dans l’état même où il était à la suite de l’effroyable lutte. Je n’avais qu’à le peupler par la pensée[3] », raconte Adolphe Yvon, évoquant son voyage en Crimée en 1856 pour préparer La Prise de Malakoff par Mac-Mahon , alors que la paix n’est pas encore signée. Cependant, la plupart de protagonistes de la bataille étant déjà rentrés à Paris, c’est dans son atelier que l’artiste les reçoit un par un pour des études de figures en pied, d’uniformes ou simplement de gestes et d’attitudes. La plupart de ces dessins, réalisés au fusain et au crayon graphite, sont aujourd’hui conservés au musée national du château de Versailles et au musée national du château de Compiègne. Plus rares sont les études en couleurs comme cette feuille – mêlant habilement pierre noire, aquarelle et gouache –, préparatoire à la figure du zouave mort qui se trouve sur la gauche, dans le fond de la composition. L’homme couché sur le versant de la colline, le pied pendant, les bras en croix, repose mort, la main crispée sur sa baïonnette, la bouche et les yeux encore grands ouverts. L’artiste ne montre pas ses blessures mais insiste sur les dégâts apportés à sa culotte rouge, déchirée et tachée. Adolphe Yvon réalise ici une étude fouillée, servie par un remarquable raccourci, pour un personnage très secondaire de la composition. En effet, ce mort, contrairement à un grand nombre de soldats vivants présents dans le tableau[4], est resté anonyme. Il appartient au Ier régiment des zouaves qui, avec le général Mac-Mahon, donne la charge et plante le drapeau sur la colline et tient la position, en arrière de la courtine. L’artiste, dans le tableau final, modifiera légèrement sa position, plaçant par exemple la baïonnette en travers de la poitrine du soldat. Cette gouache, comme la suivante , a été achetée par le général de Beylié (il n’est encore que colonel à l’époque) et donnée au musée en 1900.
[1] Combat dans la gorge de Malakoff, musée national du château de Versailles, inv. MV 1970 ; Le Général Bosquet blessé dans la courtine de Malakoff, Salon de 1859, inv. MV 1971.
[2] Attaque du village de Magenta, musée national du château de Versailles, inv. MV 5015 ; Napoléon III donne ses ordres à la bataille de Solferino, Salon de 1861, inv. MV 5016.
[3] Adolphe Yvon, « Souvenirs », in Henry Jouin, Adolphe Yvon, discours prononcé le 13 septembre 1893 au nom de l’école des beaux-arts en la cérémonie des obsèques du maitre précédé de pages extraites des souvenirs inédits du peintre, Paris, 1893, p. 29.
[4] Un plan du tableau, avec le nom des principaux acteurs, accompagnait la présentation de l’œuvre au Salon de 1857.
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