Portrait de Benjamin Rolland

Née à Saint-Hilaire-du-Rosier dans la maison
forte du Périer en 1806, Eugénie du Colombier
passe son enfance au château de Pin à Saint-
Didier-de-la-Tour. Il est attesté qu’elle suit des
cours avec Benjamin Rolland dès avant 1824.
Rolland (?-1855) est alors conservateur du musée
et directeur de l’école gratuite de dessin.
L’établissement n’étant ouvert qu’aux garçons,
elle bénéficie de cours particuliers et, pour
cela, séjourne régulièrement à Grenoble chez
sa tante, la marquise de Vaulx. Elle se distingue
déjà dans l’art du portrait quand elle réalise, à
l’âge de vingt-sept ans, cette oeuvre très révélatrice
de la personnalité de son maître. Il apparaît
comme une figure hiératique et précieuse
à la fois. Campé dans son fauteuil, palette et
pinceaux en mains, dans une composition
savamment désordonnée, l’artiste, dans un
habit élégant, est au faîte d’une carrière réussie.
Il est entouré d’un coffre à couleurs richement
décoré, d’un carton à dessin, de carnets de
croquis dans un appartement cossu (boiseries,
meubles anciens, tapis…). Une fenêtre diffuse
une lumière tamisée qui éclaire son visage.
Un buste en plâtre renversé sur le sol et trois
sculptures posées sur un buffet rappellent que
la formation des jeunes artistes commence par
la copie des antiques. La toile sur le chevalet est
achevée et encadrée. Elle est en partie cachée
par une tenture damassée verte, mais on peut
reconnaître Un père et son enfant malade, une
peinture de Rolland datée de 1808 et offerte au
musée en 1820 par le marquis Calixte de Pina,
alors maire de Grenoble.
Ce portrait en hommage à son professeur est
comme un exercice de style où Eugénie du
Colombier peut lui montrer toute l’ampleur
de son savoir-faire, particulièrement dans le
subtil rendu des matières où elle excelle.
Rolland appréciait cette oeuvre puisqu’il
choisit de la présenter au Salon des amis des
arts de Grenoble en 1835. Le nom d’Eugénie
du Colombier ne figure pas dans le catalogue,
sans doute à sa demande et en raison de son
statut social. Une jeune femme de sa condition
ne peut alors prétendre à une carrière
artistique même si ses parents ont toujours
encouragé sa vocation. Elle est juste « un élève
de M. Rolland, conservateur du Musée[1] ». Mais
un commentaire dans la presse nous révèle
que ce tableau est bien de sa main : « Grenoble
possède plusieurs artistes très-distingués,
et qui sont destinés peut-être à devenir des
célébrités et à imprimer aux beaux-arts une
marche, une tendance nouvelle, MM. Sappey,
Ravanat, Achard, Cassien, Debelle, Fantin,
Genivet, Mlle du C., artistes de talens [sic]
et d’espoir, qui sous l’aile protectrice de
MM. Roland et Couturier père, leurs doyens,
feront certainement dans quelques années de
Grenoble une ville importante sous le rapport
artistique. […] Une élève de M. Rolland, Mlle
E. du C., s’est montrée digne d’un tel maître
dans deux portraits charmans [sic] qu’elle a
exposés. Il faut vraiment être femme et en
avoir l’ingénieuse patience pour peindre aussi
bien et avec autant de vérité, tous les petits
détails d’un appartement, tous les accessoires
d’un tableau. Ce que nous avons admiré le
plus, c’est un tapis de table et un rideau vert ;
vous jureriez voir un tapis de laine brodé à
points avec tout le fini possible. Ces tableaux
sont parfaits. […] Il est bien autrement des
portraits de Mlle du C. Là tout est à propos, à
sa place ; il n’y a pas un seul objet qui ne dise
quelque chose, qui n’exprime une pensée[2]. »
[1] Catalogue du Salon de Grenoble, 1835.
[2] Alph. Maxim. Cerfberr, « Exposition de Grenoble », Courrier de l’Isère, 12 mai 1835, p. 3.
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