Occasion dramatique II
[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]
Fils d’un ingénieur naval à La Spezia, Berto Lardera fait ses études à l’Université de Florence, où il fréquente l’école libre de dessin. Les grandes carcasses de métal, qu’il aperçoit dans les entrepôts des chantiers navals où travaille son père, auront une influence profonde sur son oeuvre singulier. De même, la découverte du travail de son compatriote Alberto Magnelli, est fondatrice dans sa démarche. Lardera entrevoit là les potentialités du rythme et la force du dessin qui seront au fondement de ses propres créations. Le sculpteur découvre la scène abstraite parisienne, ainsi que le travail de Picasso, de Jacques Lipchitz et de Julio Gonzàlez, lors de deux séjours dans la capitale, en 1929 et 1935. Après avoir expérimenté divers matériaux et techniques dans son atelier de Florence, il présente sa première sculpture en 1939. En 1947, il s’installe à Paris, expose en 1948 à la galerie Denise René – la galeriste envisage alors sa production comme la « sculpture de l’avenir » –, puis régulièrement au Salon de mai et au Salon des réalités nouvelles. Lardera appartient ainsi au cercle des sculpteurs abstraits de l’après-guerre tels Robert Jacobsen, Émile Gilioli, Pablo Manes et César Domela.
Privilégiant entre 1942 et 1947 une sculpture bidimensionnelle, Lardera lui préfère, à partir de 1948, la troisième dimension, au moyen de plans métalliques, perpendiculaires ou obliques, rigoureusement organisés entre eux par des rapports de pleins et de vides. En témoignent les premières oeuvres, créées à Paris, comme Sculpture à trois dimensions (1948-1949). Dans les années 1950, Lardera se consacre à des séries de sculptures monumentales, pour une part installées dans des espaces publics : les Sculptures, les Occasions dramatiques et les Rythmes héroïques. L’artiste définit alors ainsi son programme : « Pour la sculpture, le moment de la rupture me paraît coïncider avec celui de l’abandon de la forme close pour la forme ouverte. » Opposé à la modélisation mathématique prisée, dans les années 1950, par Max Bill ou Georges Vantongerloo, contre la rigidité de certains tenants de l’abstraction géométrique, Lardera aime à dire que « l’oeuvre d’art est […] pour [lui] une aventure poétique » (« Entretien », in Témoignages pour l’art abstrait, 1952).
Occasion dramatique II de 1952 appartient à un ensemble de onze sculptures, qui répond à cet esprit. Les plaques d’acier, qui se croisent à angle droit, donnent le sentiment d’être découpées dans du papier à coups de ciseaux. Les plans qui s’inscrivent pleinement dans l’espace laissent circuler le regard et la lumière à travers eux. Les formes dentées et les formes incurvées dialoguent entre elles, dans une sorte d’inflexion musicale. Admirateur des sculptures de Lardera, Marcel Brion s’extasiera en 1968 : « Emportée par l’élan de ses plans, l’oeuvre donne au spectateur l’illusion de tourner devant lui. » Occasion dramatique II opère dans tous les cas une synthèse entre la sculpture angulaire et l’abstraction gestuelle chère à l’artiste. L’art de Berto Lardera est autrement lié à la ville de Grenoble, par une oeuvre également emblématique, la sculpture Rythme héroïque VIII (1968), originellement installée devant la maison de la Culture, construite par André Wogenscky.