Femme couchée

Pierre PUVIS DE CHAVANNES
1867
8,9 x 19,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don des héritiers de Puvis de Chavannes en 1899

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Le Sommeil, que Puvis de Chavannes présente au Salon de 1867, est pour Paul de Saint-Victor une « grande et noble esquisse […], peinture plus musicale que plastique et qui parle moins aux yeux qu’à l’esprit »[1]. Du thème emprunté aux Métamorphoses d’Ovide – l’histoire des Troyens endormis pendant que le cheval est introduit dans la ville –, Puvis de Chavannes gomme toute référence trop explicite à l’événement pour proposer une vision agreste et bucolique d’un peuple apaisé, profitant d’un instant de calme et de plénitude dans la nature. « Je ne connais pas de plus beau poème à la nuit, à l’apaisement des choses, à l’oubli momentané de l’être par l’être »[2], s’extasie Roger Ballu quand il découvre en 1887 le tableau, resté jusque-là dans le secret de l’atelier de l’artiste. Aux accents lyriques de certains critiques, qui reconnaissent à Puvis une certaine élévation de l’âme dans ses peintures[3], on comprend mieux l’admiration des symbolistes à son égard, et en particulier de Gauguin, même si l’artiste refuse ce parrainage. Cette figure couchée, enveloppée dans ses drapés, est présentée comme une « Femme couchée, crayon bleu, étude pour le Sommeil du musée de Lille », dans la lettre du conservateur Jules Bernard en 1899 accompagnant le don. Si elle est bien préparatoire au tableau, elle intervient probablement dans une phase précoce du travail, car elle n’apparaît pas dans la composition finale. On ne la retrouve dans aucun groupe ou figure isolée même si sa position recroquevillée – les jambes repliées sous le corps et le bras gauche posé sous la tête – est identique à celle de l’homme nu au second plan. Ce nu masculin, dont la tête est dissimulée, est le point central de la composition et assure un lien visuel entre les deux groupes de dormeurs. Ce personnage est absent des premières esquisses et études et en particulier de celle de Lille[4], dont le paysage de forêt a ensuite été remplacé par ce vaste champs moissonné en bord de mer, baigné par la lumière crépusculaire. Une Étude d’homme nu, allongé sur le côté droit, à la pierre noire et rehauts de craie blanche sur papier gris[5], préparant cette figure, est également conservée au musée de Lille. Le modèle du dessin de Grenoble, aux traits vaguement féminins, a une position semblable à l’exception d’une certaine inclinaison du corps sur le sol, due à la présence de la pierre sur laquelle est posée sa tête. Le trait de crayon – ferme dans les contours, estompé dans les ombres – suggère les formes du corps dissimulé presque entièrement par le drapé. L’usage du crayon bleu, assez rare chez l’artiste même s’il se retrouve dans quelques feuilles[6], donne ici des accents mélancoliques à la figure en baignant les formes d’une lumière mystérieuse. Moins charnel que le trait de sanguine, moins brutalement réaliste que la ligne de pierre noire, le tracé de crayon bleu est plus doux et suggère à merveille le calme et la sérénité qui fait du Sommeil, pour Paul de Saint-Victor, « un beau songe esquissé comme avec un crayon d’argent sur la toile grise de la nuit »[7].


[1] Paul de Saint-Victor, cité dans A. Michel et J. Laran, Puvis de Chavannes, P. s. d. (vers 1911-1912), éd. anglaise, 1912 (introduction de Michel, commentaire de Laran), p. 45-46.
[2] Roger Ballu, préface au catalogue de l’exposition Puvis chez Durand-Ruel, Paris, 1887, p. 7-18.
[3] Joséphin Péladan dit de Puvis qu’il « est une pensée, et c’est parce que ses œuvres pensent qu’elles échappent à la perception de la foule ».
[4] Pierre Puvis de Chavannes, Le Sommeil, esquisse, huile sur toile, avant 1867, 55 x 80 cm, Lille, Palais des beaux-arts, dépôt du musée du Louvre en 1946, inv. RF 1943-71.
[5] Lille, Palais des beaux-arts, inv. W.2057.
[6] Par exemple, Étude d’un couple de dormeurs, autre étude pour le Sommeil, à la plume et au crayon bleu, est conservé dans la collection des héritiers de l’artiste. Il existe à Lille, au Palais des beaux-arts, une Étude d’homme, penché vers l’avant, au crayon bleu mis au carreau à la pierre noire, qui est une étude préparatoire pour Marseille, colonie grecque (W.2063). Bertrand Puvis de Chavannes en a recensé au moins cinq autres.
[7] Paul de Saint-Victor, op. cit.

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