Sans titre

Hubert DUPRAT
2004
Résine, hématite, bois
120 x 150 x 120 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à Art : Concept en 2005
Centre national des arts plastiques
Dépôt au Musée de Grenoble le 12/07/2007

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Exposition En Roue libre, 1er avril-3 juillet 2022

Salle 1

Vous avez dit bizarre?

Étrange, extravagant, excentrique, bizarre, capricieux, le XXe siècle a fait éclater les frontières géographiques et artistiques. Si l’art moderne a vu triompher la forme pure, combattu l’illusionnisme et défendu la transparence, le carambolage des styles semble bien être l’apanage de la période contemporaine. Après les révolutions esthétiques modernes, la voie est libre. À bas l’homogénéité, les arts deviennent hybrides ! L’étrangeté se trouve dans l’oeil de celui qui découvre ce qu’il regarde. Les expressions métissées mobilisent l’imaginaire des artistes. L’évidence devient énigmatique et le familier flirte avec l’étrange. Depuis les années 1980, l’art méconnaît les frontières, aime le mélange des genres, la pratique de la citation, les maniérismes mais aussi le kitsch. Réfractaires aux catégories plastiques traditionnelles, les artistes privilégient ainsi l’informe, la morphogenèse, le monde d’avant les hommes, la matière avant la forme. La notion d’art elle-même semble être devenue fluctuante, insaisissable, diffractée. Et l’on observe des créations à l’« élasticité » sans limites où priment le pluriel, l’hétérogène et le protéiforme.

Erró, l’un des acteurs majeurs de la Figuration narrative, fut à ses débuts un adepte du photomontage et un héritier de la verve dada. La révolte coule dans ses veines. Dans ses productions méca, il dénonce l’économie de marché monstrueuse qui broie et détruit les individus. Assumer le pouvoir critique des images pour dire les menaces liées au progrès technique, les horreurs et les atrocités de l’univers concentrationnaire passe ici par le profus, l’étrange, l’épouvantable et l’effrayant.

Passionné de minéralogie et d’entomologie, Hubert Duprat s’affranchit aisément des frontières qui existent entre les disciplines. Son art de la synthèse parvient à relier la libre expression artistique et l’organisation animale ou végétale. L’essence baroque de son oeuvre lui permet de bâtir des passerelles entre des éléments hétérogènes. Le travail ingénieux et prolifique de Duprat s’apparente à un grand cabinet de curiosités dédié à la cohabitation des différents règnes, à la vie secrète des formes, à la poésie des matériaux.

C’est avec un soin presque maniaque que le plus célèbre des artistes viennois Arnulf Rainer persiste à biffer son visage dans une approche fondamentalement iconoclaste. Son activité destructrice le conduit à s’attaquer aux reproductions d’artistes de renom, à son propre visage, aux masques mortuaires. Véritable marque de fabrique, la pratique du recouvrement est un exercice libératoire qui s’inscrit dans la continuité de la peinture informelle. En donnant habituellement une vision pacifiée du trépas, le masque mortuaire refoule, efface la souffrance de l’agonie. À l’inverse, Rainer met à nu la violente incarnation de la mort, nous rendant presque familier ce corps étranger passé « de l’autre côté ».

Dans le règne de l’écart et de la divergence, on observe le triomphe d’une esthétique plus kaléidoscopique que jamais. Comme de nombreux artistes, en cette période d’hybridation, Annette Messager recourt à des matériaux non sculpturaux ou picturaux. Plaidoyer pour l’anormalité, ses monstres mi-humains mi-animaux sont des fantômes ou des spectres qui renvoient autant à une forme de régression enfantine qu’au caractère irréductiblement ambigu et contradictoire de toute représentation. Attendrissants, ils échappent allègrement aux genres, mais aussi aux règnes conjuguant bizarrerie et tendresse.

[Extrait du Journal de l’exposition En roue libre. Balade à travers la collection d'art contemporain du musée, musée de Grenoble, 1er avril-3 juillet 2022]

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