Bank Oldenburd I

Candida HÖFER
1998
Photographie couleur, épreuve couleur contrecollée sur Dibon
150,5 x 150,8 cm
120 x 120 cm (hors marge)
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la Galerie Laage-Salomon en 2001
Centre national des arts plastiques
Dépôt au Musée de Grenoble en 2006

Voir sur navigart

Exposition En Roue libre, 1er avril-3 juillet 2022

Salle 11

Glaçant, d’un pôle à l’autre

Robert Musil dans son célèbre ouvrage L’Homme sans qualités auscultait avec ironie la décadence et les désillusions de la modernité qui annonçaient le chaos de la Seconde Guerre mondiale. Manifestant une foi indéfectible en l’homme, les avant-gardes avaient vu naître des artistes inspirés, illuminés, exprimant leur quête de vérité et d’absolu.

Depuis les années 1980, l’époque n’est pas toujours à la gaîté. Le lyrisme poétique, celui de l’artiste démiurge n’est plus. Est-ce à dire que la période contemporaine ou postmoderne rime avec déshumanisation, cynisme, vide, solitude, individualisme ? Le malaise semble profond. En témoigne la recrudescence des figures de l’artiste déprimé, solitaire. Cette dépression affichée traduit le besoin d’exprimer par la froideur, le vide psychologique, l’enfermement et l’isolement, l’amertume et le désenchantement des temps. Ainsi voit-on se profiler des corps-objets désincarnés et des univers mortifères et pasteurisés. S’il fallait identifier un climat propre aux années 1980-2000, peut-être pourrait-on évoquer une période polaire, voire glaciaire. C’est l’heure de la froideur fonctionnaliste, de la rigueur implacable et de la mise à distance du sensible.

Certains adoptent dans ces conditions une esthétique minimaliste et clinique. La vie est absente, s’est retirée. Il s’agit de dire le silence, l’indifférence, la présence muette des choses. D’autres choisissent de dire la glaciation des corps, la distanciation psychologique, l’angoisse et la mélancolie. Le monde dans lequel nous vivons est imparfait. À l’érosion des utopies et de l’humanisme répondent la vacuité absolue et une forme de défaite existentielle. Le stade ultime, c’est dire l’état anormal, le point mort, la souffrance et la mort.

En imaginant d’austères cellules blanches, l’artiste israélien **Absalon ** révèle la radicalité de sa démarche qui est en soi un acte de résistance. Dans un programme qui est en réalité politique, il s’invente des chambres de méditation, des îlots parfaits, des «bulles» lisses où vivre en retrait, apaisé, loin du monde. S’absenter pour se retirer dans un espace protecteur devenu matrice et microcosme, tel est l’esprit de ces étranges habitats moins fonctionnalistes qu’oniriques.

**Jean-Pierre Raynaud ** crée un univers formellement aseptisé, hanté par l’image d’un anéantissement individuel et collectif. L’usage récurrent qu’il fait des surfaces carrelées évoque tant l’hôpital que l’angoisse de la mort, l’enfermement ou la maladie. Avec sa Maison, véritable œuvre d’art total, il s’exclut du monde, se construit un ermitage à l’image de sa solitude intérieure. Dans ses installations, le matériel médical vient dire aussi les entraves et les épreuves de l’existence.

On a souvent dit des images de Candida Höfer qu’elles étaient cliniques, froides, géométrisées à l’excès. S’inscrivant dans la tradition photographique de l’École de Düsseldorf, son style est reconnaissable à son objectivité, à son goût de la distanciation, de la rigueur et de la précision. Travaillant à la chambre, attachée à la qualité formelle de ses images, elle adopte une esthétique de papier glacé. Dans le sillage de Bernd et Hilla Becher, elle aime la beauté de l’ordre, celle du vide qu’elle habite de mystère. Elle élude le sujet pour restituer toute sa force au monde des choses les plus banales de l’urbanité contemporaine.

[Extrait du Journal de l’exposition En roue libre. Balade à travers la collection d'art contemporain du musée, musée de Grenoble, 1er avril-3 juillet 2022]

Découvrez également...