Etude pour Thétis et Pelée :
Pélée agenouillé
A l’occasion de l’exposition des dessins de Fantin-Latour organisée en 1901 chez son marchand Tempeleare, le critique et bon connaisseur de l’œuvre de Fantin-Latour, Clément-Janin, s’étonnait de l’absence de carnets de croquis – il n’en dénombre alors pas plus de deux ou trois – où bien souvent les artistes consignent observations prises sur le vif et premières pensées de tableaux [1].
Cet ensemble inédit de huit croquis renvoie à cette pratique de la notation rapide, mais les différences de papier prouvent que les feuilles ne proviennent pas toutes du même carnet.
Ces dessins sont entrés dans la collection du musée, en même temps que six autres, grâce à la générosité de Joseph Laforge, important marchand grenoblois, qui saluait ainsi en 1954 la réouverture du musée Fantin-Latour [2]. Ce don venait opportunément compléter les collections de Grenoble, jusqu’alors dépourvues de séries de ce type.
Nous n’avons pas identifié dans l’œuvre peint, dessiné et gravé de Fantin, d’autres Thétis et Pélé. Tout au plus, le jugement de Pâris pourrait-il s’y rattacher de façon très lointaine : Pâris ne décerne-t-il pas en effet à Aphrodite la pomme d’or qu’avait apportée Eris, la Discorde, aux noces de Thétis et Pélée ? Les huits croquis autour de Thétis et Pélée n’ont donc vraisemblablement pas abouti. Ils ont été exécutés au cours de l’année 1867, à une période où Fantin affirme une prédilection croissante pour les sujets d’imagination. Il n’est peut-être pas surprenant que l’histoire de Pélée et de Thétis ait un temps sollicité l’attention de Fantin. Elle met en scène une apparition surnaturelle, « féerique » (Thétis sortant des eaux), comme on en trouve tant chez Fantin, et la quête de l’immortalité. Fantin indique le moment choisi : Pélée, mortel à qui l’on destine comme épouse la belle Néréide Thétis s’agenouille, frappé par la beauté de l’immortelle. De leur union, naîtra Achille.
On ne peut proposer une hypothèse de classement pour un ensemble qui est peut-être lacunaire et compte seulement trois pièces datées. Fantin y expérimente des manières variées. Daté du 26 mai, portant la mention du sujet, le MG IS 69-55
est le plus allusif et peut-être, du coup, le plus précoce de la série. Fantin y met en place la composition à l’encre, dans un tourbillonnement qui évoque les dessins à la plume de Delacroix. Fantin n’admirait pas seulement la peinture de Delacroix, il collectionnait également ses dessins. Malgré le caractère embryonnaire de ce premier jet, Fantin fait une première mise en « couleurs » en grisant sommairement à la mine de plomb Pélée et des éléments de paysage. La mine en plomb vise déjà à accentuer l’opposition entre Thétis et Pélée.
Dans ce croquis, c’est Pélée qui est en surplomb par rapport à Thétis, qu’il semble accueillir.
Il n’est pas encore sidéré par une apparition. Le rapport s’inverse dès le MG IS 69-52
, où les personnages nus sont schématiquement traités au crayon gras. La matière graphique s’enrichit et le trait tourbillone à nouveau avec fébrilité pour préciser la figure de Pelée. C’est la pose qui importe à Fantin : les tracés superposent Pélée tantôt nu tantôt habillé. Dans le croquis du 23 septembre (MG IS 69-54), Fantin réintroduit avec l’estompe des éléments de coloration. Il éloigne Pélée de la limite inférieure de la composition. La facture, moins ronde, est caractéristique de Fantin. Pélée fait aussi l’objet d’une recherche isolée (MG IS 69-53).
L’artiste a également testé le sens de sa composition. Ainsi, la feuille MG IS 69-57
et la partie droite de la MG IS 69-60
inversent-elles les figures. Si Fantin a placé à six reprises Thétis sur la gauche de la composition, il est difficile de déterminer quelle disposition a reçu sa préférence, tant il est vrai que les quatre dessins d’ensemble présentent un degré d’inachèvement analogue.
Les doubles calques se différencient davantage par les effets de texture. Sur l’un (MG IS 69-60
), Fantin a laissé glisser le crayon noir gras sur la surface lisse ; il a au contraire posé l’autre calque sur un papier grenu, afin d’obtenir des irrégularités de surface. L’un s’apparente à un dessin, où le tracé, le contour définissent les formes ; l’autre se rapproche de la peinture, qui restitue les figures et les paysages par des hachures obliques épaisses, des aplats et des frottis construisant les figures par « taches ». Ces huit croquis inédits, de formats modestes, révèlent la diversité des ressources graphiques de Fantin et une vivacité que l’on n’associe pas toujours à son art.
[1] Clément Janin, 1903, p.257
[2] Copie d’une lettre de Joseph Laforge au maire, Grenoble , 1954 (Grenoble, documentation du Musée.
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