Tête de vieillard barbu portant un turban agrémenté d'une escarboucle

Ce dessin fait partie d’un ensemble de feuilles
ayant des formats voisins et montrant des têtes
d’Orientaux barbus, portant des turbans
parfois agrémentés d’escarboucle; des peintures
existent aussi, établies selon un modèle de
disposition voisin. On pense qu’elles faisaient
partie à l’origine d’un même album, à l’image
d’un recueil intitulé Sole Figure Vestite, conservé
au Victoria & Albert Museum à Londres,
regroupant quatre-vingt-neuf dessins de figures
de vieillards vêtus à l’orientale représentés en
pied. Lorsque le dessin de Grenoble fut exposé
pour la première fois, il le fut ainsi en compagnie
de deux feuilles du musée Atger de
Montpellier, appartenant à la même série.
On sait l’importance que revêt dans l’œuvre
peint de Tiepolo la figure du Levantin. Dans des
sujets qui, a priori, n’imposent pas ce type de
personnages, le peintre vénitien se plaît à les
placer comme représentants du spectateur dans
le tableau. On ne compte pas ainsi les sujets tirés
de l’histoire gréco-romaine (comme l’histoire
d’Antoine et de Cléopâtre), de la fable (histoires
troyennes) et même tirés des Saintes Écritures,
comme le Christ et la femme adultère où est
inséré ce type d’hommes vêtus à l’orientale.
Il convient alors de s’interroger sur le statut et
la fonction de ces dessins. Tout incite à penser
qu’ils n’étaient pas destinés au marché de l’art.
Tiepolo les a soigneusement conservés et ne les
a pas vendus de son vivant. Son fils, Giandomenico,
a hérité de cet ensemble et en a gravé un
certain nombre. Ces gravures sont réunies dans
deux volumes intitulés Raccolta di Teste, publiés
entre 1770 et 1774, en hommage à son père.
Furent-ils conçus à l’origine pour servir de
modèles pour des peintures ? Rien n’est moins
sûr car rares sont les reprises exactes dans son
œuvre peint, même si l’on peut noter des
correspondances entre certains dessins et des
peintures, comme, précisément, la tête du
musée de Grenoble qui présente quelque
rapport avec celle d’un patriarche, peint en
1744 dans le Banquet d’Antoine et Cléopâtre de
Melbourne (il pourrait s’agir cependant d’un
ricordo), tout près d’une colonne (une partie de
son visage est placée derrière). Sont-ce de pures
têtes de fantaisie ? C’est possible. On sait
combien Tiepolo appréciait les gravures de
Rembrandt et de Giovanni Benedetto Castiglione
(qui pasticha le maître hollandais dans
deux suites de gravures sur le sujet des Têtes
d’hommes coiffés à l’orientale), montrant des
personnages orientaux similaires. Dessiner des
têtes, dans un esprit proche de ses devanciers,
tout en s’en détachant pour développer sa
propre manière, c’est une caractéristique propre
à Tiepolo dont on sait la révérence qu’il portait
à certains grands maîtres de la peinture
(pensons à Véronèse). Tiepolo fait de sa
peinture, et aussi dans une certaine mesure de
ses dessins, un exercice assumé et conscient
d’une sorte d’exercice de style.
Ces feuilles sont généralement datées après le
séjour allemand et avant le voyage en Espagne,
soit entre 1753 et 1762. Mais elles pourraient
être antérieures.
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