Ariccia
Trouvé sans numéro d’inventaire ni provenance dans le cabinet des dessins, cette feuille remarquable possède toutes les caractéristiques du paysage historique en vogue jusque dans les années 1820, savant mélange de réalisme et d’imagination tel que le préconise Pierre-Henri de Valenciennes dans ses Réflexions et conseils à un élève sur la Peinture et particulièrement sur le genre du paysage, publié en 1800[1]. Pour ce dernier, l’étude de la nature est un préalable indispensable à la création d’un paysage mais ne doit pas conduire à l’imitation servile. De tous les éléments pittoresques qui s’offrent à la vue face au motif, le paysagiste doit choisir et agencer les plus significatifs : « L’artiste prend son crayon, les dessine et forme, par cette réunion de deux beaux objets, un tableau plus parfait que s’il les avoit copiés séparément, mais il faudrait animer ce paysage et y placer des figures pour lui donner de l’action[2] », nous dit-il. Cette feuille, où la teinte chamois du papier permet d’évoquer la coloration terreuse des montagnes, emprunte au village d’Arricia les quelques éléments architecturaux qui permettent de reconnaître sa silhouette caractéristique : le palais Chigi dont la longue façade blanche est partiellement plongée dans l’ombre et le dôme de la collégiale Santa Maria Assunta, œuvre de Lorenzo Bernini. Un groupe de moines, au premier plan, franchissant un pont à plusieurs arches, vient habiter ce paysage et lui conférer une dimension religieuse. Rochers, barre montagneuse et végétation structurent l’ensemble et servent d’écrin au village, réduit à quelques édifices remarquables. Par le seul jeu des rehauts de gouache blanche se détachant sur le fonds chamois, l’artiste inonde de lumière les façades et la saillie des rochers, parvenant à évoquer cette lumière crue propre aux sites méridionaux. Comme le rappelle Valenciennes, « la campagne de Rome, toute aride et abandonnée qu’elle est en grande partie, renferme divers villages disséminés dans son étendue, que l’on ne peut se dispenser d’aller voir et qui présentent de superbes tableaux pour l’étude d’un artiste[3] ». Les alentours de la Ville Éternelle, et en particulier la région d‘Albano, offrent en effet un attrait particulier à qui recherche des paysages variés où se mêlent vestiges antiques et médiévaux, villages perchés, écrin de montagne et végétation luxuriante. Et le bourg d’Arricia, situé à une trentaine de kilomètres de Rome, dans les Monts Albins, perché sur un éperon rocheux, ne pouvait que séduire les artistes au point de devenir une destination indispensable du Grand Tour. De Pierre-Henri Valenciennes à Théodore Caruelle d’Aligny, de Joseph Turner à Camille Corot à, de Jean-Victor Bertin à Achille Bénouville, d’Alexandre Desgoffe à Rudolf Müller, on ne compte plus les peintres qui ont trouvé tout au long du siècle dans ce village une source d’inspiration, impressionnés par la silhouette du palais des Princes Chigi ou les mystères de son parc jonché de ruines antiques, la façade baroque de l’église du Bernin ou la profondeur du ravin qui l’entoure. « Palais, viaduc et village forment un décor grandiose dans un paysage enchanteur[4] », résume Mme Louise Collet en 1864 à propos d’Arricia. L’immense viaduc, construit en 1854 par le Pape Pie IX, est absent du dessin de Grenoble, ce qui date l’œuvre de la première moitié du siècle, mais son trait net et précis, sa construction rigoureuse, caractéristiques du paysage néoclassique, le situent plutôt aux alentours de 1810–1820. Il n’a pas été possible, malgré de nombreuses recherches, de retrouver son auteur.
[1] Ces Réflexions ont été publiées par Pierre-Henri de Valenciennes à la suite des Élémens de perspective pratique à l’usage des artistes [...], Paris, an VIII (1799). Grand admirateur de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain, Valenciennes se veut le grand rénovateur du paysage historique. Son influence se fait sentir sur toute une génération d’artistes comme Jean-Victor Bertin, Joseph Turner et Camille Corot.
[2] Valenciennes, op. cit., p. 421.
[3] Ibid., p. 598-599.
[4] Mme Louise Collet, L’Italie des Italiens, Quatrième Partie, Rome, Paris, 1864, p.458.
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