Etude pour la décoration d'une abside de chapelle comportant trois sujets iconographiques (le Calvaire, une Mise au tombeau sur les parois latérales, une Gloire d'anges dans le cul-de-four, deux figures allégoriques dans les écoinçons)

L’ancienne attribution à Giovanni da San
Giovanni, peintre florentin du XVIIe siècle, n’a
pas résisté un instant au regard. Le dessin date
en effet du milieu du XVIe siècle et revient à un
artiste du nord de l’Italie. Après avoir un temps
pensé qu’il pouvait être attribué à un dessinateur
crémonais, tel Giulio Campi ou Antonio
Campi, puis à un dessinateur originaire de
Brescia, marqué par un des Campi, comme
Lattanzio Gambara (qui, on le sait, travailla dans
l’atelier de Giulio Campi à Crémone), il s’est
avéré qu’il ne pouvait qu’être placé à Vérone. Le
nom du graveur et peintre Battista d’Angolo, dit
Battista del Moro, s’est alors imposé. Ce cheminement
attributif reproduit d’une certaine
manière les imprégnations et les références
stylistiques repérables sur ce dessin. Il est ainsi
symptomatique de rapporter l’erreur d’un des
plus grands connaisseurs du XXe siècle, Philip
Pouncey, qui pensait que la Judith tenant la tête
d’Holopherne de la Fondazione Longhi à
Florence revenait à Antonio Campi, avant que
Sergio Marinelli ne parvînt à (dé)montrer qu’il
s’agissait d’une toile de Battista del Moro[1]. Cette
méprise révèle combien la manière de ce peintre
s’insère dans un faisceau de références stylistiques
tellement disparate qu’il en parasite les
possibilités de reconnaissance.
Parler d’une manière infime, difficilement
perceptible au sein d’une manière générale,
facilement identifiable et rattachable à des
schémas stylistiques connus, fait ainsi de cet
artiste un suiveur, un collecteur et assembleur
de stylèmes. Et pourtant, rien dans sa biographie
ne dit qu’il se soit rendu à Crémone ou
Brescia. Seuls des voyages à Venise sont attestés.
Peut-être, voire sûrement, s’est-il rendu à
Mantoue (il peignit en 1552 une Sainte
Madeleine destinée au dôme de la ville). Il devait
en tout cas connaître parfaitement la manière
de Giulio Romano qui fournit les cartons à
partir desquels furent exécutées les fresques du
dôme de Vérone par Francesco Torbido et son
équipe, dont il faisait partie, puisqu’il était son
élève (il épousa d’ailleurs sa fille). C’est probablement
son activité de graveur qui l’amena à
côtoyer les faires d’artistes étrangers à sa ville
natale. Il grava ainsi un certain nombre de
compositions inventées par Parmigianino, très
certainement à partir de dessins originaux du
maître dont quelques-uns passèrent à Vérone,
peu avant 1535, et qui furent vendus par Battista
Pittoni à AlessandroVittoria en 15582. Dillon a
démontré de manière convaincante que les
dispositions et les matières stylistiques de deux
de ses gravures, représentant respectivement le
Mariage de la Vierge et le Martyre de sainte
Catherine sont, soit apparentées à des manières
de faire mises au point par des artistes crémonais
pour la première, soit issues d’une invention
de Bernardino Campi pour la seconde. La
connaissance de l’œuvre tant dessiné que
graphique de Parmigianino peut se lire directement
sur le dessin de Grenoble. La pose du
Christ mis au tombeau (ainsi que son rendu
stylistique) est en effet une citation presque
littérale, tirée d’une des eaux-fortes les plus
célèbres de l’artiste parmesan. Ce lien entretenu
avec des œuvres exogènes au contexte véronais
se double de rapports stylistiques tissés avec ses
collègues véronais. Il ne pouvait en être autrement.
S’il est difficile de le démontrer par des
comparaisons avec des dessins de son maître
Torbido (il n’en existe pas), il est en revanche
plus facile de le faire avec un artiste appartenant
à la même génération, Domenico Brusasorci
(1516-1567). Mais c’est un autre peintre que
l’on voudrait convoquer (avec les précautions
d’usage qui s’imposent lorsque l’on confronte
un dessin avec une peinture) en mettant en
parallèle le dispositif iconographique – ainsi
que stylistique – de la Mise au tombeau figuré à
senestre sur la feuille grenobloise, avec celui
représenté par son jeune compatriote Véronèse,
sur une toile conservée au Museo di Castelvecchio
à Vérone et provenant de la sacristie du
couvent des Hiéronymites. Cette toile, datée par
Sergio Marinelli des années 1546-1549, représente
la Lamentation sur le Christ mort. L’écart
iconographique entre les deux sujets est ténu :
ce sont les mêmes acteurs de l’histoire que l’on
retrouve sur les deux œuvres, à deux moments
très proches dans le temps, succédant à l’épisode
de la crucifixion. Une figure en particulier,
tant dans le dessin que dans la peinture,
apparaît dans une attitude dispositionnelle fort
similaire. Il s’agit de la Madeleine, courbée, le
dos voûté, baisant sur la feuille la main du
Christ, embrassant le pied du Christ sur la toile.
Cette similitude d’attitude pourrait certes
s’interpréter autrement : après tout, la
Madeleine doit se baisser pour poser ses lèvres
sur le corps du Christ. Il n’en reste pas moins
que les deux artistes se sont connus et ont
travaillé ensemble (à la décoration du Palais Trevisan à Murano en 1556-1557). Il ne serait
pas étonnant qu’ils eussent échangé quelques
idées. Précisons qu’un certain nombre de
dessins de Battista étaient naguère attribués à
Véronèse[2] et les connaisseurs admettent bien
volontiers que les dessins de jeunesse de
Véronèse sont proches de ceux de Battista.
Quelle est en fin de compte cette manière infime
qui caractériserait l’idiosyncrasie de Battista del
Moro ? La réponse que nous donnons est un
aveu d’échec et reprend les termes des connoisseurs
à l’ancienne : des formes allongées et
gracieuses à la Parmigianino, un remplissage de
l’espace (reprise des traits, hachures souvent
bien parallèles) à la crémonaise, le tout combiné
aboutissant à du Battista del Moro[3].
Toutes ces élucubrations auraient pu être
évitées s’il existait un décor en rapport direct
avec ce projet de décoration peinte d’une abside
de chapelle ou s’il existait un autre dessin
susceptible d’appartenir au même dossier
préparatoire[4]. Rien de tel malheureusement à
cette heure.
[1] Comme me le signale Marco Tanzi dans son courriel daté du 11 mai 2009.
[2] Citons, entre autres feuilles, un dessin de l’Ambrosiana étudiant La Vierge à l’Enfant entourée d’un saint évêque et de saint Antoine Abbé, Cod. F 271, Inf. n. 67. Voir le site internet mettant en ligne le fonds de dessins de l’Ambrosiana.
[3] Deux dessins de Battista tracés sur une même feuille euvent être mis en regard avec celui de Grenoble. La définition stylistique que nous donnons s’y applique encore mieux même si le parmigianinisme est moins prégnant. Elle est conservée au British Museum et étudie au recto une Vision de saint Eustache et au verso un Ecce Homo (inv. 1875,0814.2472 ; l’attribution est due à Sergio Marinelli qui l’a publiée 1988.
[4] Battista del Moro a bien peint à fresque une Crucifixion pour l’abbaye de Rosazzo, près d’Udine. Mais il s’agit d’une lunette et la disposition est différente. Et surtout les autres sujets ne sont pas représentés.
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