Etude pour la décoration d'une abside de chapelle comportant trois sujets iconographiques (le Calvaire, une Mise au tombeau sur les parois latérales, une Gloire d'anges dans le cul-de-four, deux figures allégoriques dans les écoinçons)

Battista D'ANGOLO dit Battista DEL MORO (attribué à)
XVIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre brune, rehauts de gouache blanche sur un tracé léger au crayon graphite, deux lignes se coupant à angle droit au centre du dessin au graphite, un trait à la sanguine en hauteur et un autre à droite sur les bords, sur papier crème (découpé de manière incurvée en bas à l'intérieur du dessin)
19,9 x 26,7 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3551, n°1464).

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L’ancienne attribution à Giovanni da San Giovanni, peintre florentin du XVIIe siècle, n’a pas résisté un instant au regard. Le dessin date en effet du milieu du XVIe siècle et revient à un artiste du nord de l’Italie. Après avoir un temps pensé qu’il pouvait être attribué à un dessinateur crémonais, tel Giulio Campi ou Antonio Campi, puis à un dessinateur originaire de Brescia, marqué par un des Campi, comme Lattanzio Gambara (qui, on le sait, travailla dans l’atelier de Giulio Campi à Crémone), il s’est avéré qu’il ne pouvait qu’être placé à Vérone. Le nom du graveur et peintre Battista d’Angolo, dit Battista del Moro, s’est alors imposé. Ce cheminement attributif reproduit d’une certaine manière les imprégnations et les références stylistiques repérables sur ce dessin. Il est ainsi symptomatique de rapporter l’erreur d’un des plus grands connaisseurs du XXe siècle, Philip Pouncey, qui pensait que la Judith tenant la tête d’Holopherne de la Fondazione Longhi à Florence revenait à Antonio Campi, avant que Sergio Marinelli ne parvînt à (dé)montrer qu’il s’agissait d’une toile de Battista del Moro[1]. Cette méprise révèle combien la manière de ce peintre s’insère dans un faisceau de références stylistiques tellement disparate qu’il en parasite les possibilités de reconnaissance.
Parler d’une manière infime, difficilement perceptible au sein d’une manière générale, facilement identifiable et rattachable à des schémas stylistiques connus, fait ainsi de cet artiste un suiveur, un collecteur et assembleur de stylèmes. Et pourtant, rien dans sa biographie ne dit qu’il se soit rendu à Crémone ou Brescia. Seuls des voyages à Venise sont attestés. Peut-être, voire sûrement, s’est-il rendu à Mantoue (il peignit en 1552 une Sainte Madeleine destinée au dôme de la ville). Il devait en tout cas connaître parfaitement la manière de Giulio Romano qui fournit les cartons à partir desquels furent exécutées les fresques du dôme de Vérone par Francesco Torbido et son équipe, dont il faisait partie, puisqu’il était son élève (il épousa d’ailleurs sa fille). C’est probablement son activité de graveur qui l’amena à côtoyer les faires d’artistes étrangers à sa ville natale. Il grava ainsi un certain nombre de compositions inventées par Parmigianino, très certainement à partir de dessins originaux du maître dont quelques-uns passèrent à Vérone, peu avant 1535, et qui furent vendus par Battista Pittoni à AlessandroVittoria en 15582. Dillon a démontré de manière convaincante que les dispositions et les matières stylistiques de deux de ses gravures, représentant respectivement le Mariage de la Vierge et le Martyre de sainte Catherine sont, soit apparentées à des manières de faire mises au point par des artistes crémonais pour la première, soit issues d’une invention de Bernardino Campi pour la seconde. La connaissance de l’œuvre tant dessiné que graphique de Parmigianino peut se lire directement sur le dessin de Grenoble. La pose du Christ mis au tombeau (ainsi que son rendu stylistique) est en effet une citation presque littérale, tirée d’une des eaux-fortes les plus célèbres de l’artiste parmesan. Ce lien entretenu avec des œuvres exogènes au contexte véronais se double de rapports stylistiques tissés avec ses collègues véronais. Il ne pouvait en être autrement. S’il est difficile de le démontrer par des comparaisons avec des dessins de son maître Torbido (il n’en existe pas), il est en revanche plus facile de le faire avec un artiste appartenant à la même génération, Domenico Brusasorci (1516-1567). Mais c’est un autre peintre que l’on voudrait convoquer (avec les précautions d’usage qui s’imposent lorsque l’on confronte un dessin avec une peinture) en mettant en parallèle le dispositif iconographique – ainsi que stylistique – de la Mise au tombeau figuré à senestre sur la feuille grenobloise, avec celui représenté par son jeune compatriote Véronèse, sur une toile conservée au Museo di Castelvecchio à Vérone et provenant de la sacristie du couvent des Hiéronymites. Cette toile, datée par Sergio Marinelli des années 1546-1549, représente la Lamentation sur le Christ mort. L’écart iconographique entre les deux sujets est ténu : ce sont les mêmes acteurs de l’histoire que l’on retrouve sur les deux œuvres, à deux moments très proches dans le temps, succédant à l’épisode de la crucifixion. Une figure en particulier, tant dans le dessin que dans la peinture, apparaît dans une attitude dispositionnelle fort similaire. Il s’agit de la Madeleine, courbée, le dos voûté, baisant sur la feuille la main du Christ, embrassant le pied du Christ sur la toile. Cette similitude d’attitude pourrait certes s’interpréter autrement : après tout, la Madeleine doit se baisser pour poser ses lèvres sur le corps du Christ. Il n’en reste pas moins que les deux artistes se sont connus et ont travaillé ensemble (à la décoration du Palais Trevisan à Murano en 1556-1557). Il ne serait pas étonnant qu’ils eussent échangé quelques idées. Précisons qu’un certain nombre de dessins de Battista étaient naguère attribués à Véronèse[2] et les connaisseurs admettent bien volontiers que les dessins de jeunesse de Véronèse sont proches de ceux de Battista. Quelle est en fin de compte cette manière infime qui caractériserait l’idiosyncrasie de Battista del Moro ? La réponse que nous donnons est un aveu d’échec et reprend les termes des connoisseurs à l’ancienne : des formes allongées et gracieuses à la Parmigianino, un remplissage de l’espace (reprise des traits, hachures souvent bien parallèles) à la crémonaise, le tout combiné aboutissant à du Battista del Moro[3]. Toutes ces élucubrations auraient pu être évitées s’il existait un décor en rapport direct avec ce projet de décoration peinte d’une abside de chapelle ou s’il existait un autre dessin susceptible d’appartenir au même dossier préparatoire[4]. Rien de tel malheureusement à cette heure.


[1] Comme me le signale Marco Tanzi dans son courriel daté du 11 mai 2009.
[2] Citons, entre autres feuilles, un dessin de l’Ambrosiana étudiant La Vierge à l’Enfant entourée d’un saint évêque et de saint Antoine Abbé, Cod. F 271, Inf. n. 67. Voir le site internet mettant en ligne le fonds de dessins de l’Ambrosiana.
[3] Deux dessins de Battista tracés sur une même feuille euvent être mis en regard avec celui de Grenoble. La définition stylistique que nous donnons s’y applique encore mieux même si le parmigianinisme est moins prégnant. Elle est conservée au British Museum et étudie au recto une Vision de saint Eustache et au verso un Ecce Homo (inv. 1875,0814.2472 ; l’attribution est due à Sergio Marinelli qui l’a publiée 1988.
[4] Battista del Moro a bien peint à fresque une Crucifixion pour l’abbaye de Rosazzo, près d’Udine. Mais il s’agit d’une lunette et la disposition est différente. Et surtout les autres sujets ne sont pas représentés.

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