(Sans titre)
Avant tout peintre-décorateur, sollicité pour de grands programmes décoratifs civils et religieux à Paris comme à Nantes, Jules-Elie Delaunay réalise assez peu de peintures de chevalet. À l’exception des nombreux portraits qu’il présente régulièrement au Salon, l’artiste peint surtout des toiles à sujets historiques dans ses années de formation et les premières années de sa carrière. Son chef-d’œuvre est sans doute La Peste à Rome, qui lui vaut les honneurs de la critique au Salon de 1869[1]. Cette très belle Figure d’homme soulevant une pièce de bois – dont la technique est assez inhabituelle dans la production graphique très abondante de l’artiste[2] – pourrait être mise en relation avec César et sa fortune (conservé au musée des beaux-arts, Nantes), le tableau avec lequel il se présente, alors élève à l’École des beaux-arts, au second concours d’essai de Peinture Historique pour le Prix de Rome en 1855. Cette composition lui vaut un Second Grand Prix, le Premier n’ayant pas été décerné cette année-là. Il pourrait s’agir d’une étude d’après le modèle vivant pour les figures de rameurs qui, au péril de leur vie, conduisent César dans une barque en pleine tempête à la poursuite de Pompée. Cet épisode est tiré de la Vie de César de Plutarque. Cette hypothèse s’appuie sur la comparaison du dessin de Grenoble avec un croquis du même personnage, dans la même position, conservé au musée des beaux-arts de Nantes et intitulé César (inv. 6569). L’orientation du corps et du bâton (une rame ?) est identique, même si le dessin de Grenoble, très abouti, laisse deviner une maîtrise technique de l’artiste dans la précision anatomique qui est quelque peu absente de ses figures dans la peinture finale. Dans cette feuille, Delaunay excelle à combiner traits de crayon Conté et rehauts de craie blanche, usant de la couleur chamois du papier comme une teinte supplémentaire. Les muscles dessinés par les touches de lumière parviennent à suggérer le geste du personnage, bandant ses muscles dans l’effort. Si ce dessin est bien préparatoire à la peinture, l’artiste n’a conservé cette attitude pour aucun de ses rameurs, qu’il représente les mains posées à plat sur leur rame. Il semble plutôt que l’homme soulève le bâton ou la pièce de bois, dans un geste proche des ouvriers sur un chantier ou des débardeurs dans un port. Au verso, un autre dessin, figurant un homme portant une lourde pierre, se retrouve, identique et plus accentué, dans une autre feuille conservée au musée de Grenoble. Cette figure n’a pas de correspondance directe avec une peinture ou un décor réalisé par l’artiste. Les deux études masculines, au recto et au verso, sont très proches dans leur traitement des dessins préparatoires au décor du Panthéon , mais pourraient aussi être des exercices d’études sur le vif qui n’ont pas trouvé de destination ultérieure. Le dessin du verso, incisif, plus personnel et original que les très nombreux dessins – un peu linéaires et figés – que l’artiste produit dans la préparation de ses décors, nous laisse entrevoir un Delaunay différent, plus libre et moins académique, que les critiques louent dans certains de ses portraits. « Avec beaucoup de souplesse et de conscience […], il relève le caractère d‘une figure même vulgaire, il atteint infailliblement au beau dans l’art » peut-on lire dans La Revue de Bretagne et de Vendée en 1887[3].
[1] Paris, musée d’Orsay, RF 80.
[2] Répartie entre le musée des beaux-arts de Nantes qui conserve la plus grande partie du fonds d’atelier (environ 2700 feuilles), le musée d’Orsay (fonds conservé au musée du Louvre), l’ENSBA, mais aussi plusieurs musées de Province ayant bénéficié des largesses des héritiers de l’artiste, selon ses dispositions testamentaires parmi lesquels on compte Grenoble, Lille, Besançon, Marseille, Montpellier, Dijon et Bayonne.
[3] « Salon : nos artistes bretons », La Revue de Bretagne et de Vendée, 1887, p.440-41.
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